Une sensation qui vous prend aux tripes. Là, profond, dans les boyaux. Là où ça gargouille. Ca gargouille parce que ça veut sortir. Inutile de faire durer le suspense, vous avez la saucisse au bord des lèvres, et elle est animée d'une volonté farouche de découvrir la beauté du monde. Il est onze heures.
Vous êtes coincé dans une pièce avec une jolie fille, et la sueur vous monte au front. Vous voulez sortir, vous sortez, mais on vous bloque le chemin. Les chiottes sont en cours de nettoyage. Merde. Merdemerdemerde.
Bon, pas grave, l'alerte est passée. Il suffisait de se lever. La gravité fait remonter la bête dans son antre. Elle a dû prendre peur. Un vague pet gras émis discrètement dans le couloir est le seul indice du drame qui a failli se dérouler. Tout va bien.
Vous allez à la cantine. Trente personnes qui parlent wolof, et vous, et votre petit invité qui profite bien de votre assiette de riz à 350 francs. Ca finit par passer. Mais la pression monte, et l'invité veut descendre.
Mais vous serrez les fesses. Vous pouvez attendre. Vous voulez attendre. Vous ne voulez pas faire caca dans des toilettes mal insonorisées qui permettront à tous de profiter de votre retentissante symphonie rectale. Et surtout,vous ne voulez pas faire caca dans des toilettes où la chasse marche une fois sur trois. La perspective de laisser la porcelaine barbouillée au sus et vu de tous, qui auraient en plus déjà pu apprécier votre acoustique sphincterale vous rend malade.
Un peu plus malade.
Mais non. Vous y arriverez. Vous saurez retenir les flots de votre diarrhée, votre petit barrage musculeux tiendra. Malgré l'épreuve imposée par votre voisine de bureau qui vous demande de l'aider à coller une image sur son mémoire de DEA récalcitrant. Psychologiquement, c'est dur. Mais vous y parvenez.
Mais ça devient difficile. De plus en plus. Vous sentez que vous allez céder.
Vous vous levez d'un saut. Vous contractez tout ce qui est contractable dans votre petit corps. Vous prenez l'air de rien, mais la panique envahit votre être. Vous montez les escaliers, vous tournez dans les couloirs, vous voyez la porte ouverte, vous rentrez, vous fermez la porte, vous la verrouillez, vous descendez votre pantalon et tant pis s'il traîne sur le sol boueux, vous vous asseyez, et vous ouvrez les vannes.
Vous vous videz. Paisiblement. Sans trop de bruit, sans éclaboussures. Mais de fond en comble. La grande démarque, tout doit disparaître !
Vous devenez léger. Immatériel. Votre esprit monte aux cieux, sans se soucier du plafond, sans craindre les vautours. Si vous n'aviez pas sur votre corps la maîtrise conférée par des années d'entraînement chez les moines Shaolin (je rappelle que vous avez votre ceinture jaune de judo), vous laisseriez bien s'échapper un soupir aux connotations licencieuses. Mais vous vous retenez. C'est bien tout ce que vous retenez.
Ouf.
Tout s'est plutôt bien passé, dans l'ensemble. Il y avait même du papier. Et par miracle, la chasse marchait.
Maintenant, vous savez que vous y êtes. Au bout d'une semaine, enfin, votre corps vous fait comprendre que vous êtes en Afrique.
Heureusement que vous avez votre stock de Smecta®.
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