Jo Becker, avocate et membre de Human Rights Watch. Recueilli par MARIA MALAGARDIS - http://www.liberation.fr/ QUOTIDIEN : vendredi 2 novembre 2007
Des centaines de jeunes Birmans sont capturés dans des lieux publics, puis enrôlés de force dans l’armée. Pire, ils sont souvent vendus aux forces armées, parfois juste pour un sac de riz. Un business cautionné par la junte militaire et que dénonce Human Rights Watch dans un rapport publié (1) à New York. L’avocate Jo Becker, qui a coordonné cette enquête, explique ce phénomène.
Le recrutement forcé d’enfants est-il lié aux manifestations de septembre ?
C’est un phénomène beaucoup plus ancien mais qui a finalement les mêmes causes que la contestation de cet automne : l’armée est tellement impopulaire que les militaires ont beaucoup de mal à trouver des engagés volontaires. Et bien sûr, cette impopularité ne s’est pas atténuée, loin de là, depuis la répression des manifestations. Du coup, pour combler l’absence de troupes, les militaires enrôlent de force ces enfants. Ils représenteraient actuellement près de 30 % des nouvelles recrues dans les camps d’entraînement. Et plusieurs témoins nous ont affirmé que dans certains bataillons, près de la moitié des soldats sont des enfants. En général, ils se font attraper sur les marchés ou dans les gares. On les menace et on les bat quand ils résistent. Les recruteurs changent leur âge sur les documents officiels pour faire croire qu’ils ont plus de 18 ans. Puis ils sont entraînés dans des camps pendant un mois et demi. Et ensuite, aussitôt envoyés au combat.
Mais c’est un vrai trafic d’enfants, puisqu’ils sont achetés et vendus…
Pour 15 à 20 dollars [10 à 14 euros, ndlr] : c’est ce que peut espérer recevoir tout civil qui emmène un enfant dans un centre de recrutement. C’est une somme dérisoire mais qui pour des gens ordinaires représente près de trois mois de salaire. La plupart du temps, ce sont les recruteurs militaires qui attrapent eux-mêmes les enfants. Pour chaque nouvelle recrue, ils reçoivent de l’huile et un sac de riz. Ce sont des pratiques courantes en Birmanie.
En quoi la situation de ces jeunes Birmans est-elle différente de celle d’autres enfants soldats ?
En théorie la junte a créé en 2004 un comité gouvernemental pour justement empêcher le recrutement des enfants. Mais c’est une imposture totale, puisqu’en réalité ce comité passe son temps à dénoncer toutes les enquêtes évoquant les enfants soldats birmans. Dans les faits, le problème est complètement nié par les autorités. Ce qui aggrave évidemment la situation de ces enfants, puisque du coup personne n’est autorisé à s’occuper d’eux. Dans le monde, il y a 20 pays où l’on trouve des enfants soldats. Mais dans la plupart de ces pays, on trouve aussi des structures pour aider à leur réinsertion sociale et psychologique. Rien de tel en Birmanie. Or ces enfants ont souvent été confrontés à des situations très violentes : on les envoie brûler des villages, encadrer le travail forcé. Ou pire encore, ils sont envoyés sur le front contre les mouvements rebelles.
Début décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU devrait examiner le sort des enfants en Birmanie. Pensez-vous que votre enquête incitera les Nations unies à prendre des sanctions ?
Cette session, qui sera présidée par la France, sera spécifiquement consacrée aux enfants soldats birmans. Bien sûr, il y a déjà eu quatre rapports déposés devant le Conseil de sécurité. Tous épinglaient les forces militaires birmanes pour avoir recruté des enfants. Pourtant aucune sanction n’a été prise. Mais cette fois-ci, la pression est bien plus forte. Donc on espère que des sanctions ciblées seront enfin décidées. Comme un embargo sur les armes ou l’assistance militaire.
(1) «Sold to be soldiers : the recruitement and use of child soldiers in Burma».