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Malentendus

Publié le 13 décembre 2009 par Toulouseweb

Malentendus Le KC-X exacerbe les mésententes transatlantiques.
Heureusement pour tout le monde, le Pentagone n’achète de nouveaux ravitailleurs en vol que tous les 50 ans ! Le dossier des KC-X, appellation générique de l’appareil qui succèdera aux KC-135R, connaît en effet d’interminables rebondissements qui mettent en évidence la rudesse du complexe militaro-industriel en même temps que ses retombées politiques.
L’expression fut inventée par «Ike» Eisenhower, au terme de son séjour à la Maison Blanche et, depuis lors, le «complexe» n’a plus quitté le devant de la scène politique, économique et médiatique. Une expression légèrement sulfureuse, d’autant que le Pentagone apparaît aux yeux de maints politologues comme une dangereuse pieuvre.
La guerre froide faisant partie du passé, cette appréciation n’est plus vraiment de mise. La prolifération nucléaire et le terrorisme sous toutes ses formes appellent des réponses sans rapport avec les menaces propres aux décennies de l’après Seconde Guerre mondiale. D’où la diminution du nombre de grands programmes d’armements classiques, les regroupements à marche forcée dans l’industrie («consolidation» en franglais commun) et la mondialisation du secteur.
Cinquante-trois ans après la livraison du premier Boeing KC-135, le temps est largement venu de remplacer cet appareil qui, même remotorisé avec des CFM56 franco-américains, avoue son âge. Après tout, c’est un Boeing 7O7 en uniforme, c’est-à-dire un avion d’une autre époque.
En un demi-siècle, faut-il le dire, le secteur de la Défense a bien changé. Du temps d’Eisenhower, aucune boule de cristal n’aurait osé prédire un affrontement Boeing 767/Airbus A330-200, hypothèse qui aurait certainement suscité l’incrédulité en même temps qu’un grand éclat de rire. D’autant plus que les ravitailleurs en vol figurent en bonne place au cœur de ce qu’il est convenu d’appeler outre-Atlantique «Essential Americana». On ne plaisante pas avec cela.
Les politiques américains, leurs électeurs et l’opinion publique tout entière auraient certainement préféré un affrontement Boeing/Lockheed ou Convair/Douglas. Mais certainement pas celui qui se déroule actuellement, et qui en est à son troisième round : Boeing, l’immense, l’intouchable Boeing, maison respectable entre toutes, installée dans le premier cercle de l’Essential Americana, mordue aux mollets par d’insolents Européens ! Lesquels, en plus, ont remporté les deux premières manches, heureusement vite oubliées.
Rien de bien inattendu, pourtant, dans ce bon scénario. Après Dallas et Desperate Housewives, voici la Tanker Saga. A n’en pas douter, de bons auteurs comme John Newhouse, Micheline Maynard ou Fareed Zacharia nous sortiront dans 2 ou 3 ans de solides bouquins de 600 pages sur le psychodrame des ravitailleurs. Entre-temps, chaque jour nous apporte son lot de surprises ou, pire, confirme que de solides incompréhensions, de lourds malentendus, d’injustifiables préjugés, polluent dangereusement les relations Europe/Etats-Unis.
Boeing se trouve en concurrence, non pas avec Airbus ou sa maison-mère EADS, mais plus précisément avec Northrop Grumman. Ce dernier propose le KC-330 (appellation officieuse), dérivé dûment modifié et militarisé, du long-courrier A330-200. Lequel est américain à hauteur de 57 à 59%, selon les sources, et serait assemblé à Mobile, en Alabama, en cas de victoire, dans une usine d’Airbus Military North America.
Le groupe EADS est d’ores et déjà très présent aux Etats-Unis, il y dépense chaque année plus de 11 milliards de dollars au profit de nombreux fournisseurs et assure ainsi environ 200.000 emplois, directs et indirects. S’y ajoute un rôle très fort d’Airbus dans la flotte commerciale nord-américaine.
Cet inventaire est précisément à l’image de la mondialisation. De la même manière que le Japon et l’Italie jouent un rôle essentiel dans la production du Boeing 767. Ce n’est ni surprenant, ni inattendu.
Reste le fait que cet affrontement, qui porte sur un lot initial de 179 avions, plus de 500 à long terme, charrie contrevérités et mensonges. Au-delà du premier cercle d’initiés, de très nombreux Américains ont en effet une perception erronée du montage industriel qui lie Northrop Grumman, EADS et Airbus.
Le point de départ du raisonnement mille fois entendu est bien connu : à en croire nombre d’Américains, Airbus serait une entreprise «française» (et non pas européenne) créée et entretenue à coup de subventions quasiment illimitées, tout à la fois pour créer des emplois en France et en détruire à Seattle. La perversité française serait ainsi à l’œuvre, cette stratégie étant constamment assortie du qualificatif le plus injurieux qui soit aux yeux de l’Amérique profonde, celle de façon de faire «socialiste». Il n’est pas rare qu’apparaisse une version encore plus dure («la France, pays quasi communiste») dans le courrier des lecteurs du respectable Seattle Times, sur le site Seattle Post Intelligencer et dans d’innombrables forums. Des élus, au congrès, au sénat, en sont les relais volontiers tonitruants.
Face à cette lame de fond, certaines péripéties récentes de la saga doivent être ramenées au niveau de simples gesticulations. A commencer par la menace de Northrop Grumman de se retirer de la compétition si la version définitive de l’appel d’offres ne revenait pas à un phrasé totalement neutre. Ce qui ne serait pas le cas actuellement.
Le retrait de Northrop Grumman, hautement improbable, correspondrait à un scénario catastrophe. Même aux Etats-Unis, à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Boeing l’emporterait en effet en situation de monopole. Ce serait un verdict quasiment «socialiste» !
Pierre Sparaco - AeroMorning


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