Je me dis parfois que voir sa vraie nature ressemble un peu à l'art de faire du vélo.
Au début, quand on apprend, faire du vélo est un peu difficile. C'est une chose nouvelle et on tombe souvent. Il faut beaucoup d'attention parce que l'équilibre n'est pas encore naturel. Il est, au commencement, un peu délicat de regarder le paysage ou les gens autour en même temps qu'on pédale, parce que toute notre attention se porte sur le poids de notre corps qui ne doit pas aller trop à droite ou à gauche.
Mais avec le temps et la pratique, - et en fait assez rapidement - faire du vélo devient la chose la plus naturelle du monde, et on peut, tout en pédalant, regarder le monde qui défile et les gens qui prennent un verre aux terrasses des cafés.
Eh bien en un sens, garder l'attention à l'espace vide est aussi une pratique qui, au début, peut demander une certaine attention, un certain effort ; c'est un certain geste de la conscience qu'il faut attraper, celui de plonger son regard vers la source vide du regard. Et il peut sembler difficile alors de parler et de voir sa vraie nature, ou de travailler et de rester attentif au vide.
Puis, peu à peu, ce geste de la conscience devient naturel et beaucoup plus facile, et il devient possible alors de voir sa vraie nature et de fonctionner dans le monde à partir de la vacuité.
Il ne s'agit pourtant là que d'une analogie insatisfaisante car si la pratique du vélo s'améliore avec le temps (on peut même en s'entrainant devenir un champion), dans l'éveil à soi, au contraire, le premier regard sur le vide est parfait, et la vision ne s'améliore jamais : elle est accomplie dès le début. Il n'y a pas de champion de l'éveil, ou d'expert de la non-dualité ! Il n'existe aucun degré dans l'éveil à soi. Je le sais car voir sa vraie nature se produit toujours maintenant pour la première fois.
Je souligne ici un paradoxe bien connu : l'éveil est à la fois une pratique et une non-pratique ; c'est une pratique de la non-pratique. Aucun effort n'est à faire puisque tout est déjà parfait dès l'origine, mais il faut en être conscient jusqu'à ce que cela devienne naturel de vivre à partir de la non-dualité.
Vivre dans la vacuité est simple et joyeux, ce n'est pas difficile.
Ce qui est difficile, au contraire, c'est ne pas vivre consciemment à partir de la vacuité et de s'imaginer n'être qu'un individu limité. Cette vie, dans la dualité, demande un très grand effort et produit de la souffrance.
Et quel pied de faire du vélo en étant centré dans la vacuité : on voit alors deux bras qui sortent du vide et tiennent le guidon, et le paysage qui vient vers l'espace et s'y engouffre!
josé le roy