L’interview d’Anne-Catherine Blanc, les questions des lecteurs

Par Madame Charlotte
Lili Galipette

Dans quelle contrée se situe le récit? Quels sont les paysages évoqués?

Anne-Catherine Blanc

Merci!  La « contrée », les paysages, le climat… sont fortement inspirés de la côte rocheuse des Pyrénées-Orientales, précisément entre Port-Vendres, le cap Béar et Banyuls, ce qui correspond grosso modo à l’actuel « sentier littoral » classé. Mais je ne décris pas des endroits précis, disons que j’ai recréé une géographie imaginaire, recomposée de ces lieux, à partir des souvenirs que j’en avais à l’autre bout du monde et surtout, de ce que j’avais envie d’en faire : pour l’essentiel, L’Astronome a été écrit à Tahiti !

Katell

La question qui me vient à l’esprit, au sujet de « L’astronome aveugle », est la suivante: quelles imprégnations littéraires pour parvenir à cette écriture aux accents médiévaux et à cette force évocatrice des images suscitées par les mots….choisis avec tant de soin?

Anne-Catherine Blanc

Bonne question, Katell, et selon la formule « je te remercie de me l’avoir posée »… parce que bien franchement, je n’en sais rien ! Dans mon enfance, j’ai lu pas mal de récits qui se déroulaient au Moyen Age et bien entendu, plus tard, des classiques, de Walter Scott à Victor Hugo. Mais le Moyen Age dans la littérature n’est pas ma passion, loin de là. Par contre, je suis fascinée par la peinture du Moyen Age et surtout de la Renaissance, Dürer, Bosch, Cranach et surtout Holbein… et je crois que cette idée est née plutôt de tableaux, d’images, que de mots. Ceux-ci sont venus après.  Dans le civil, je suis prof de français, j’ai étudié le français médiéval à la fac… ça aide ! Mais c’est d’autant plus étrange d’avoir écrit comme ça que d’habitude, mon écriture est très « râpeuse », assez violente et noire. Sur BOB, la critique de Moana Blues la qualifie même de « virile »… waouh ! J’ai écrit L’Astronome après Moana Blues, pour me remettre de cette histoire très sombre, très dure, de mort et de deuil sous le soleil, qui m’avait mis les batteries à plat, même physiquement : juste après avoir achevé sa rédaction, j’étais tombée sérieusement malade, une « dengue », une cochonnerie tropicale. Pour moi, L’Astronome, c’était le plaisir d’un exercice de style complètement différent et aussi celui d’un récit linéaire, sans flash-back, d’une structure épurée. Je viens de me rappeler qu’avant d’écrire L’Astronome, j’avais relu Les Compagnons du crépuscule, la superbe BD de Bourgeon,  ça a dû m’influencer pas mal aussi, mais davantage au niveau des images que du langage.

J’aime aussi beaucoup les romans historiques de Robert Merle, où l’auteur s’est amusé à apprivoiser le français de la Renaissance. Là, oui, il y a certainement une réminiscence de lecture.
Ben finalement, c’est bien de répondre à des questions qu’on ne se pose pas à soi-même : jamais je ne réfléchis à tout ça !

Katell

Comment vous est venue l’idée d’associer votre personnage, l’astronome aveugle, à un chat? On dit en général un chien d’aveugle pas un chat d’aveugle. Par ailleurs, je souhaitais vous exprimer toute ma gratitude pour l’immense plaisir procuré par votre roman….ovni dans notre modernité. Mille et un mercis pour cette histoire digne des contes des mille et une nuits!

Anne-Catherine Blanc

Cocteau disait qu’il aimait les chiens et les chats, mais un peu plus les chats quand même, parce qu’il n’y a pas de chats policiers. On pourrait lui retourner la citation et dire qu’il n’y a pas de chats d’aveugles. Sauf celui de l’astronome ! Quand j’ai commencé à écrire ce récit, je n’avais aucune idée de la fin. Comme toujours, d’ailleurs : quelle que soit l’histoire, j’écris toujours sans plan. Je sais bien qu’il y en a un  quelque part, mais pas au niveau conscient. Je déroule un fil en écrivant, la fin est au bout, je la découvre au fil de l’écriture, comme je découvre la fin d’un livre que je suis en train de lire. Donc, au début, un astronome, dans une tour. Qu’est-ce que je vais en faire, moi, de ce pèlerin-là ? Orgueilleux, solitaire, mais quand même humain : il a bien un confident dans les parages ou, au moins, une présence amicale, même s’il ne se rend pas compte encore à quel point elle lui importe. Le chat s’est imposé alors : amateur de bons morceaux, de coussins moelleux mais surtout, animal nocturne comme son maître, et comme lui, indépendant, enveloppé de mystère. Très capable de mener sa vie tout seul, mais aussi de se dévouer corps et âme s’il le décide. Je sais par expérience qu’il existe des chats d’une fidélité totale à l’être humain qu’ils estiment digne de leur amitié, capables même de le défendre toutes griffes dehors s’ils le sentent ou le croient en danger. J’ai eu une chatte qui, lorsque j’étais seule à la maison, crachait et grondait si un intrus se présentait : facteur, dépanneur, etc. Un jour, j’ai dû l’enfermer parce que le malheureux plombier qui réparait le chauffe-eau ne lui revenait pas et qu’il a fait irruption dans mon bureau pour me demander je ne sais plus quoi… elle lui a sauté dessus ! Mon père, quant à lui, évoque toujours un de ses chats d’exception : celui-là reconnaissait le bruit du moteur de son bateau et se jetait à l’eau du ponton en l’entendant rentrer. Il le repêchait avec une gaffe ! Ensuite, il le séchait. L’autre ronronnait, il était heureux. C’était devenu un rituel ! A partir de la fuite de l’astronome, l’histoire s’est donc écrite d’elle-même, le chat s’y est, pour ainsi dire, invité tout seul !

Yv

Avez-vous eu de la difficulté à trouver un éditeur pour ce texte assez différent des productions courantes, autant par l’histoire que par l’écriture ?

Anne-Catherine Blanc

Figure-toi que non, et c’est un comble ! J’ai galéré, je galère encore à chaque manuscrit, avant qu’ils soient acceptés. Celui-là, comme je le dis à Katell, je l’ai écrit pour me détendre après Moana Blues. Mais je ne voulais pas l’envoyer : j’étais persuadée que même si je trouvais un éditeur assez fou pour le retenir, il n’intéresserait jamais aucun lecteur ! Ce sont des amis qui aimaient le texte et surtout, mon fils et mon compagnon qui m’ont convaincue de le faire en brodant sur le thème « qu’est-ce que tu risques ? » Dont acte !

Yv

Un modèle peut-être pour décrire cet astronome rebelle ou une simple création de personnage ?

Anne-Catherine Blanc

Je pense sincèrement que l’astronome est une création de personnage. Au point de départ de mes livres, il n’y a jamais une idée de scénario mais, toujours, un ou des mots, une expression qui me viennent à l’esprit et qui commencent à me tarabuster jusqu’à ce qu’il en sorte quelque chose. Pour ce livre il s’agissait du futur titre, L’Astronome aveugle. Un paradoxe : comment peut-on concilier ces deux états, astronome par vocation, aveugle par destinée ? De là est née l’idée d’un homme accablé par le pire coup du destin qui puisse lui arriver : il perd la vue, la seule chose qui lui soit vraiment indispensable pour suivre tranquillement la trajectoire qu’il s’était fixée et qu’il croyait immuable. A partir de ça, il peut sombrer dans le désespoir ou au contraire, s’affirmer encore davantage, sortir grandi et enrichi de l’épreuve. Mais pour cela, il lui faut une très grande force de caractère, une aptitude à renoncer à tout ce qui a compté jusque-là pour lui, même s’il se croyait détaché et supérieur : pouvoir, déférence, honneurs, confort… Par-dessus tout, il lui faut renoncer à toute forme de compromission. Or, qui renonce à se compromettre n’a plus qu’un seul choix, la rébellion. Même s’il fuit le problème au début, tôt ou tard il sera rattrapé, il devra choisir, s’engager.

Yv

Comment vont vos chats, car les décrire comme vous le faites et leur donner cette importance -capitale dans le livre- vous désigne comme amatrice voire maîtresse de chat(s) ? – Merci pour ce bon moment de lecture.

Anne-Catherine Blanc

Pour l’instant je n’ai qu’un chat, pardon, qu’une chatte : Paquita, 10 ans. Elle est tahitienne, c’est-à-dire qu’elle descend forcément de « chats du bord », puisque le chat n’existait pas naturellement à Tahiti, il y est arrivé sur les bateaux des premiers explorateurs européens. Paquita a fait le voyage en sens inverse, en avion, et s’est superbement adaptée à la métropole. Il est vrai que nous vivons en pleine cambrousse, ça aide ! Avec elle, pendant plusieurs années, nous avons eu un matou au caractère très affirmé… euh non ! je vais tout dire… carrément impossible… même s’il était très drôle ! C’était un mec, un dominant, fallait que ça se sache ! Il lui en a fait voir des vertes et des pas mûres. Depuis sa disparition (il avait réchappé à plusieurs combats, dont un avec un blaireau acariâtre, je suppose que celui-ci a finalement eu le dessus…) nous n’avons pas repris d’autre chat ni chatte, par égard pour elle. Elle règne en princesse sur nos deux chiens, autres Tahitiens d’importation, avec qui elle a grandi.

Merci de prendre de ses nouvelles, je lui ai fait part de ta sollicitude et elle en est très flattée !

Fée de passage

Comment vous est venu l’idée d’incorporer le personnage du chat dans le conte ?

Anne-Catherine Blanc

Ta question me paraît recouper exactement celle de Katell, plus haut… j’espère y avoir répondu !

Fée de passage

Le lieu du phare au delà du symbole qui représente est-il lié à vos origines ?

Anne-Catherine Blanc

Le « lieu » du phare : Port-Vendres, Cap Béar et Banyuls dans les Pyrénées-Orientales. En fait, je ne suis originaire de cette région que par mon grand-père paternel. Enfant, je n’y vivais pas, mais j’y venais souvent en vacances et c’était, pour une famille très vagabonde, dispersée un peu partout dans le monde, le point de rendez-vous obligé. Cap Béar porte un phare que je n’ai jamais visité car il est fermé au public (en tout cas, il l’est toujours quand j’y vais faire un tour, ils le font exprès ou quoi ?!) Mais au pied de la falaise, il y a des petites criques très protectrices, très intimes, où j’ai fait autrefois de belles plongées suivies de belles bronzettes… Maintenant, c’est envahi l’été, mais au printemps et en automne ça reste merveilleux.

Le fait de naviguer rend aussi très sensible à la présence des phares. Quand on s’use les yeux la nuit, après trois semaines de mer, à guetter les éclats d’un phare qui doit, en principe, apparaître vers telle heure et dans telle direction si on suit le bon cap… et quand, soudain, on commence à deviner un point lumineux intermittent… ça produit un choc merveilleux, qui ne s’oublie plus jamais !

Enfin, l’un de mes plus vieux souvenirs, je devais avoir trois ou quatre ans, c’est la visite du phare des Mamelles, à Dakar. Je n’ai aucune image de ce qui a précédé ou suivi, je ne me souviens même pas comment je suis arrivée en haut, à pied ou portée par quelqu’un. Par contre, je revois nettement la lanterne, les lentilles de verre, des lames d’acier (?) tout ce métal peint en gris autour, toutes ces manettes et ces boutons rouge et noir… et, en contrebas, la mer gris-bleu agitée par le vent, et puis les rochers basaltiques d’un noir bleuté… un univers dur, étincelant, fantasmagorique, à la fois clos et ouvert sur du vertige… Quand j’y réfléchis, je me dis que c’est une vision qui a dû drôlement me travailler pendant toutes ces années !

Fée de passage

Vous êtes vous laissé aller à l’écriture ou avez vous fait quelques recherches sur l’astronomie ?

Anne-Catherine Blanc

L’astronomie, pour moi, ne posait pas de vrai problème parce qu’elle n’apparaît pas directement dans le récit, elle n’a pas d’implications. En réalité, l’astronome est plutôt un astrologue dans ses fonctions à la cour : ce n’est que quand les sciences exactes ont commencé à se définir comme telles, c’est-à-dire grosso modo au XVIII° siècle, que le langage a commencé à faire la différence entre le scientifique et le devin. « Mon » astronome sait bien qu’il n’a aucun pouvoir réel de divination. Au début du récit, il se sert sans excès de scrupules de celui qu’on lui attribue pour mener ses recherches scientifiques dans des conditions confortables, c’est tout.  C’est un savant, un vrai, en avance sur son époque, qui ne veut surtout pas d’ennuis avec le pouvoir, qu’il s’agisse du pouvoir séculier ou du pouvoir religieux. Alors, d’un côté, il joue sur la peur qu’inspire son propre pseudo-pouvoir pour manipuler le roi, de l’autre, il suit dévotement les offices en rêvant à autre chose, parce qu’il redoute le bûcher… J’ai donc commencé à écrire comme d’habitude, c’est-à-dire au feeling total. Mais une fois arrivée au phare, je me suis dit : « Bon, là, ma fille, c’est du sérieux, faudrait peut-être te renseigner un peu »… et j’ai essayé. Grosse surprise : j’ai trouvé tout et le reste sur l’histoire des phares, les phares célèbres et même la vie des gardiens de phare… mais sur leur fonctionnement à travers les âges, à partir de quand on était passé du simple feu en plein air à la coupole, par exemple… que dalle ! Il faut dire qu’à cette époque j’habitais Tahiti où la connexion Internet était récente et mal foutue. Il n’y avait qu’un seul serveur, un seul moteur de recherches possible, l’ADSL sautait tout le temps… ça ramait, ça ramait… l’horreur. Alors, j’ai pensé qu’après tout, c’était un conte et que ça me dispensait de me prendre le chou ! Dans un conte, on fait ce qu’on veut, na ! De toutes façons, si on va par là, mon texte fourmille d’inexactitudes : le gardien passe son temps à déboucher des flacons, par exemple. Or, le vin en flacons de verre, les bouchons en liège, ça apparaît vers le milieu du XVII° siècle, au plus tôt. Donc, bien après l’époque censée être celle de mes deux héros. Je le savais, mais j’avais besoin de ce bruit joyeux et évocateur pour d’éventuels lecteurs du XXI° siècle. On est dans un CONTE, oui ou non ? C’est vrai, dites donc, c’est reposant d’écrire des contes, pas besoin de se coltiner une documentation d’enfer ! Je sens que je vais récidiver !

Fée de passage

Le roi quasi absent du conte est tout de même omniprésent à chaque détour. La réflexion sur le pouvoir incarné par l’astronome est bien menée. Pourquoi cette thématique ?

Anne-Catherine Blanc

Je crois que face au pouvoir, il n’existe que deux attitudes possibles : soit on le recherche pour lui-même, comme une drogue, soit on s’en fout. La plupart des gens croient, en toute bonne foi, qu’ils s’en foutent. Mais cette deuxième attitude est très difficile à tenir sur le long terme, parce qu’on est toujours tenté de rechercher, un jour ou l’autre, pour une raison ou pour une autre, quelques miettes de pouvoir, même si on est persuadé que par ailleurs, on s’en fout… On veut une place, on veut un mec ou une fille, on veut être admiré… Alors, on est obligé de se compromettre : on flirte avec le pouvoir, celui qui peut donner la place, séduire le mec ou ma fille, déclencher l’admiration. On obtient peut-être ce qu’on veut, mais on a un doigt dans l’engrenage, donc il faut soit suivre le doigt et se faire écrabouiller tout entier par la machine, soit couper le doigt. Dans les deux cas, ça fait très mal. L’astronome a cru de bonne foi qu’il pouvait se compromettre sans douleur, mais la vie le rattrape au tournant pour lui réclamer le solde. Il choisit d’abord la fuite et se trouve très malin, car il gagne en liberté ce qu’il perd en confort. Puis il finit par se retrouver acculé et fait cette découverte essentielle : le seul pouvoir qui vaille est celui qu’on acquiert en renonçant à l’exercer sur les autres, mais en s’en servant pour découvrir le meilleur de soi-même et en le mettant, autant que possible, au service de ceux qu’on aime. Ou des autres, au sens large, si on a vraiment une vocation humanitaire. Je pense que c’est ça, s’accomplir. Pourquoi cette thématique ? Sans doute parce qu’elle est importante pour moi, qui ne suis plus toute jeune, et par expérience personnelle : à chaque grand tournant de ma vie, qui n’a rien d’extraordinaire, je me suis retrouvée face à ce choix fondamental, accepter de faire une crasse à quelqu’un, ou bien ne pas la faire. Donc, j’imagine que ça se présente régulièrement pour les autres aussi. Je sais bien que ce genre de scrupules fait ricaner de nos jours, où la  marche sur les panards d’autrui est devenue une discipline olympique mais bon, on s’refait pas !

Merci à vous tous pour avoir aimé ce livre, et pour me le dire. Ça me donne vraiment envie d’en écrire d’autres de la même encre.

Au fait, je tutoie tout le monde alors qu’on me vouvoie,  il ne faut pas m’en vouloir : ayant grandi en Afrique et longtemps vécu à Tahiti, contrées où le vouvoiement n’existe pas, j’ai beaucoup de mal à l’employer quand je me sens en confiance, ça m’apparaît presque comme une impolitesse !

Anne-Catherine