Sting

Publié le 12 décembre 2009 par Irigoyen
Sting

Le 15 décembre, comme d’autres, j’irai écouter Sting à Paris, salle Pleyel. J’ai toujours été touché par la musique de Gordon Matthew Sumner, artiste mondialement connu, né le 2 décembre 1951 à Wallsend, à quelques lieues de la très « rieuse » Newcastle-upon-Tyne.

Sting revient cet hiver avec cet album et un DVD – captation du spectacle donné à la cathédrale de Durham en septembre dernier -.

If on a winter’s night reprend le titre d’un roman de l’écrivain italien Italo Calvino – en français : Si par une nuit d’hiver un voyageur -. Cette référence littéraire satisfait d’emblée l’amoureux des livres que je suis. Mais ce n’est pas la première fois que Sting va piocher dans le patrimoine littéraire mondial. Rappelons-nous les références à Carl Gustav Jung - Synchronicity, An Acausal Connecting Principle, en français Synchronicité et paracelsica – ou encore à Vladimir Nabokov et son roman Lolita. Je crois même qu’Arthur Koestler fait partie des auteurs que l’ex-chanteur de Police vénère.

Dans ce dernier opus donc, Sting s’intéresse de prêt au folklore britannique. On pourrait penser, à première vue, qu’il poursuit un chemin amorcé avec Songs from the labyrinth où, rappelez-vous, il rendait hommage à John Dowland. En fait, les connaisseurs se souviendront sans doute d’un mémorable Waters of Tyne - dont l’interprétation m’a toujours beaucoup remué – preuve que ce goût pour l’histoire de la Grnde-Bretagne n’est pas nouveau :

I cannot get to my love if I would die;
The water of Tyne runs between her and me
And here I must stand with a tear in my 'ee,
Both sighing and sickly, my sweetheart to see
I cannot get to my love, if I would die;
The water of Tyne runs between her and me
And here I must stand with a tear in my 'ee,
Both sighing and sickly my sweetheart to see
Oh, where is the boatman, my bonny hinny?
Oh, where is the boatman? Bring him to me
To ferry me over the Tyne to my honey,
And I will remember the boatman and thee
Oh, bring me a boatman, I'll give any money,
And you for your troubles rewarded shall be
To ferry me over the Tyne to my honey
Or scull her across the rough river to me

Dans If on a winter’s night, Sting montre, comme d’habitude, sa capacité à évoluer, à ne jamais rester dans le même registre. Même si sa notoriété est immense, je trouve osé de changer à ce point. Car n’oublions pas les premiers albums de Police flirtant avec le punk – je pense en particulier à des morceaux comme Fall out, Nothing achieving ou encore Dead end job.

L’ex-chanteur de Police, on ne cessera de le rappeler, a dépassé le simple punk pour lui apporter une certaine maturité, une certaine intellectualisation. Peut-être cela est-il dû au fait que Sting avait d’abord touché à des musiques plus complexes comme le jazz. Il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter Last Exit, l’ancien groupe dans lequel il jouait. J’ai d’ailleurs retrouvé quelques morceaux sonores particulièrement étonnants ayant pour titre Every day's just the same, Carrion prince, Don't let it bring you down ou encore Whispering voices.

Ce goût pour le jazz ne le quitte visiblement pas. La preuve lorsqu’il signe la bande originale Leaving Las Vegas, de Mike Figgis. Ce réalisateur avait d’ailleurs donné à Sting un rôle sur mesure, quelques années plus tôt dans Stormy Monday, où il interprétait un patron de bar d’abord très rétif à l’idée de vendre son établissement au très véreux Cosmo, interprété par Tomy Lee Jones. Dans ce film au climat étouffant où officiaient également Sean Bean et Melanie Griffith, on pouvait apercevoir un peu de cette ville grise connue pour ses chantiers navals. Sting dit lui-même que l’image des navires flambant neufs prenant le large et partant à tout jamais eut une influence considérable dans sa vie.

Sting est un garçon déroutant. Déroutant quand il publie son premier roman, Broken Music où l’on découvre un vrai talent d’écrivain. Déroutant oui, car j’avais compris comme d’autres, en l’écoutant lors d’une interview accordée à la télévision britannique, qu’il n’était pas fait pour cela. Que l’écriture d’une chanson était justement le contraire : partir d’un thème très général et en faire une synthèse très courte. Déroutant quand il met la carrière de Police entre parenthèses mais se produit à nouveau sur scène, l’an dernier, avec ses anciens « collègues », Andy Summers et Stewart Copeland. Eet même Henri Padovani, éphémère guitariste de Police avant l’arrivée d’Andy Summers.

J’ai fait partie des innombrables admirateurs du groupe qui furent déçus en 1983 lorsque la belle aventure s’arrêta. Le célèbre trio eut beau nous gratifier d’une très prenante nouvelle version de Don’t stand so close to me, tout le monde avait bien compris que les plus belles années de Police étaient derrière nous – je me revois encore enregistrer sur cassette le concert de la tournée Synchronicity retransmis en simultané à la télévision et à la radio, sur France Inter -. Chez moi pourtant, la déception a toujours été contrebalancée par la joie de retrouver Sting dans des albums dits « solo ». Il y eut d’abord The dream of the blue turtle – qui, paraît-il, fait référence à un rêve– , Bring on the night – avec ce morceau que je vénère entre mille : I burn for you – et Nothing like the sun – encore une référence à la littérature puisqu’il s’agit d’un extrait d’un sonnet de Shakeaspeare -. Signalons, à ce propos, que Gil Evans a participé à ce dernier album. On retrouvera d’ailleurs les deux hommes sur un incroyable enregistrement live d’un concert à Pérouse, en Italie.

A propos de raretés, j’en profite pour vous signaler, si vous le ne saviez pas, l’existence d’albums également déroutants comme Video Magic et Flash-back, disques où l’on retrouve Sting, Andy Summers et Stewart Copeland aux côtés d’un Allemand du nom de Eberhard Schoener. J’utiliserai, si vous me le permettez, les termes d’expérience musicale qui offre des moments très rares comme par exemple Codeword Elvis où l’on découvre un Sting excellent dans le registre nostalgique.

Puis vient la période 1991-2003 : Sting s’entoure de musiciens différents, dont Dominic Miller dont je vous ai dit le plus grand bien dans des chroniques précédentes. Inutile de tourner autour du pot. The soul cages est l’album que je préfère. Je pense que même lorsque l’on ne comprend pas l’anglais et l’intimité créée entre les textes de l’auteur et ses auditeurs, on ne peut être que frappé par la dimension personnelle de ce sublime album, tout en finesse, tout en retenue, malgré le décès de ses parents. Je me souviens d’ailleurs avoir vu Sting, dans un documentaire, où, dans son caban trop grand, il ne savait plus où il en était.

Au cinéma, il m’est arrivé de voir Sting. Je me souviens de Quadrophenia et de son petit rôle. Je me souviens aussi d’avoir lutté contre le sommeil, dans un cinéma lyonnais, à la projection de Dune, las d’attendre une courte apparition du chanteur. Je me souviens aussi de Lock, Stock and Two Smoking Barrels – en français Arnaques, crimes et botanique -. Je mentirais si je disais que je garde de ses passages un souvenir mémorable. Non, on peut être admirateur inconditionnel et garder sa faculté de jugement. Pour moi, mais j’en ai déjà parlé, son meilleur rôle reste celui de Finney dans Stormy Monday.

Oui, je pense que Sting fait partie des artistes chez qui il est toujours possible de trouver quelque chose de nouveau. Et finalement, ils ne sont pas légion dans ce cas.

Le 15 décembre, j’irai donc applaudir ce formidable musicien en gardant pour moi tout un tas de questions que je me pose depuis longtemps : pourquoi n’écrit-il plus de chansons politiques – rappelons-nous They dance alone sur Pinochet -, est-ce qu’un jour avec la voix qui est la sienne il consacrera un album entier au jazz – soit sous forme de reprise soit par des compositions dans l’esprit de Dream of the blue turtles -, continuera-t-il d’écrire des livres, est-ce qu’il pense avoir contribué, comme il disait le souhaiter il y a quelques années, au décloisonnement des genres musicaux, etc…

Ces questions, oui, je vais les garder pour moi car cet homme est très difficile à interviewer. Cela fait des années que j’essaie de l’approcher. En vain. Peut-être parce que l’admiration que je porte à Sting me fait trop vite oublier que lui-aussi a besoin de temps pour pouvoir continuer à créer. Et continuer d’offrir une œuvre en constant renouvellement, quoi qu’en disent les mauvaises langues.