Je viens de terminer la lecture de "L'Histoire bling-bling" de Nicolas Offenstadt, un livre fort recommandable à l'heure où on voudrait nous impliquer dans un faux débat, dont les cartes sont déjà battues et les réponses préétablies.
Très concrètement, il s'appuie sur dix épisodes récents impliquant l'Histoire dans la politique nationale (la lecture de la lettre de Guy Môquet, la mort du dernier poilu, la création d'un musée d'Histoire de France, etc).
Extrait de sa conclusion:
Cette réinvention du national dépasse les questions historiques mais s'appuie largement sur la mise en avant du passé de la France. Elle remythifie la linéarité du temps historique, insiste sans cesse sur les continuités depuis les temps les plus anciens, pose l'histoire en dévoilement progressif d'une France éternelle, reprenant par là des discours formulés depuis longtemps.
Cette mise en scène opérée par le pouvoir sarkozyen trouve un écho chez de nombreux intellectuels, nouveaux clercs de la transcendance nationale, prompts à enfourcher le rôle d'experts organiques, perdus et inquiets sans doute par l'ouverture sans cesse plus grande des sciences humaines à de nouveaux territoires et à de nouveaux questionnements, venus en particulier d'Inde ou des Etats-Unis, effrayés devant un "multiculturalisme" scientifique ou général, qu'ils ne maîtrisent pas.
A la confluence de ce repli intellectuel et de cette mise en scène politique s'est dessinée une structure discursive qui se décline assez souplement selon les arènes mais dont les thèmes sont bien établis:
- La nation a été oubliée dans les décennies précédentes et cet oubli a causé bien des déconvenues.
- Il a permis la promotion et l'affirmation de mémoires communautaires qui affaiblissent voire détruisent le collectif par leurs revendications identitaires, par leur souci de revenir sur les passés de souffrance ou de dissensus, voire par leur lobbyisme parlementaire qui conduit au vote de lois mémorielles.
- Cette montée des mémoires, de l'ennemi, s'est accompagnée de celle d'une idéologie de la "repentance" qui inhibe la fierté nationale et empêche l'affirmation d'une pensée forte de la France.
Contre ce processus, il faut réagencer une image positive du pays, produire de l'adhésion à une France essentialisée, ramenée à une âme à exalter, à une somme de réalisations cumulatives: "La nation existe objectivement, c'est un patrimoine déjà là qui accueille le sujet à sa naissance ou à son arrivée." Si la France a une essence, dotée d'une âme et un projet déjà là auquel il convient d'adhérer, on comprend bien que l'esprit et la discussion critique sur la constitution historique des nations, les enjeux de leur mise en discours sont tout à fait secondaires.
Cette réinvention du national, comme souvent, s'accompagne de l'abaissement du discours critique. Le récit national ne souffre pas de contestation, pas de déconstruction, pas de mise en doute. C'est le retour du garde-à-vous à la mode bling-bling, non seulement dans l'espace public mais aussi dans la sphère intellectuelle.
L'histoire bling-bling - le retour du roman national de Nicolas Offenstadt, Stock (collection parti-pris), 2009
Mediapart a lancé un appel à refuser "le grand débat sur l'identité nationale organisé par le pouvoir": on peut signer ici