« Je me suis souvent demandé quel était le centre symbolique de Prague.
(...) pour moi, le centre physique et spirituel de la ville est un pont, un pont vieux de presque sept cents ans, qui relie l’ouest à l’est de la ville. Le pont Charles est l’emblème même de la place qu’occupe la ville en Europe, ce continent dont les deux moitiés se sont cherchées si longtemps (...)
Il représente aussi l’invulnérabilité propre à la ville, sa capacité à se relever de tous les désastres.»
Ivan KLIMA , Esprit de Prague
Editions du Rocher, 2002
Avec l'horloge astronomique que nous avions détaillée ensemble, vous souvenez-vous, ami lecteur ?, le pont Charles, le plus vieux pont de Prague enjambant la rivière Vltava, représente un des endroits de la ville qui attirent le plus de badauds. Certes, depuis sa rénovation en 1974, il est le seul qui soit réservé aux piétons pour se rendre dans ce typique quartier de Mala Strana, berceau de la Prague baroque, ainsi qu'au château sur la colline de Hradcany ; mais il ne constitue évidemment pas l'unique voie de communication entre rives droite et gauche.
Précédemment en effet, et sans avoir eu la prétention d'épuiser les possibilités offertes à quiconque de traverser la Moldau - c'est l'appellation, j'ai déjà dans ces articles sur la capitale tchèque eu maintes fois l'opportunité de le souligner, que lui donnent les Allemands -, je vous avais proposé de rapidement découvrir l'un ou l'autre des nombreux ouvrages de ce type que la configuration même de la ville nécessita.
Aujourd'hui, comme je vous en ai fait la promesse au moment de nous quitter samedi dernier, nous allons donc emprunter le plus célèbre d'entre eux pour accéder à ce quartier que nous visiterons ensemble prochainement, le plus typique aussi par la conception qui est sienne : le pont Charles.
Il doit en fait son nom, vous ne l'ignorez plus maintenant, au comte de Luxembourg, devenu au milieu du XIVème siècle le dirigeant du Saint Empire romain germanique sous le patronyme de Charles IV.
Sa statue, oeuvre de l'artiste originaire de Dresde, Arnost Händel, se trouve d'ailleurs érigée, depuis 1848, sur la petite place à droite avant d'emprunter le pont : rendant évidemment hommage à l'empereur qui n'eut de cesse de transformer la ville en prestigieuse capitale d'empire, elle visait également à l'époque à commémorer le demi-millénaire de l'Université qu'il avait créée. Et la présence de ces allégories féminines assises sur le pourtour du piédestal sur lequel, majestueux, pose Charles IV, symbolise en réalité les différentes facultés universitaires.
S'appuyant sur les vestiges du pont Judith, ouvrage en pierre réalisé deux siècles plus tôt aux fins de remplacer une ancienne passerelle en bois, un peu en aval, qui n'avait pas résisté aux fréquentes et sévères crues de la rivière, le pont Charles, constitué de blocs de grès, mesure 515 mètres de long pour seulement 9, 50 de large.
Devenu en quelque sorte un des monuments emblématiques de Prague, il est dû à un architecte et sculpteur allemand lui aussi, à peine âgé de 23 ans quand il arriva à la cour impériale pragoise, Peter Parler ; artiste qui fut également mandé par l'empereur mécène pour réaliser le choeur de la cathédrale Saint-Guy, dans l'enceinte du domaine royal, ainsi que pour imaginer la conception de Nové Mesto, le quartier de la "Nouvelle Ville".
Deux "portes" le balisent : à l'entrée côté Staré Mesto, en cours de travaux de réfectionnement, comme d'ailleurs à certains endroits le pont lui-même, la plus belle, la mieux conservée, la Tour de la Vieille Ville, ornée de blasons encadrant sculptures et statues gothiques du même Peter Parler
avec, notamment celles de Saint-Guy, au centre, accompagné, à droite par Charles IV et, à gauche, par son fils, Venceslas.
A l'autre extrémité du pont, un demi kilomètre plus loin, s'ouvrant donc directement sur Mala Strana, plus vieilles, moins ouvragées, moins bien conservées : la tour du pont Judith, vestige du premier ouvrage de pierre et, à sa droite, plus haute, celle du "Petit Côté", semblent protéger, dans la perspective, le dôme de l'église baroque Saint-Nicolas, la première, à Prague, à porter ce nom ; la seconde étant, souvenez-vous, sur la place de la Vieille Ville, à l'entrée de Pariztska, l'avenue de Paris.
Entre ces deux "portes", une trentaine de statues et groupes sculptés ponctuent le parapet du pont gothique depuis le début du XVIIIème : d'essence baroque, donc assez grandiloquents à mes yeux, ils sont destinés à honorer un certain nombre de saints, un peu comme, à Rome, sur le Pont Saint Ange.
Vous me permettrez de ne point les commenter mais de simplement vous donner à voir certains d'entre eux ...
Je ferai cependant une exception pour l'une d'entre elles, placée au centre, du côté du pont Manès, parce qu'elle fut en réalité la première à être installée ici et la seule à avoir été coulée en bronze, les autres étant en pierre : il s'agit de la statue de Jean Népomucène.
Condamné par le roi en 1393 à cause d'un différend concernant l'élection d'un abbé, selon certaines sources, ou parce que, confesseur de l'épouse d'un souverain soupçonneux quant à sa fidélité, il aurait refusé de trahir le secret de la confession, selon d'autres chroniques d'époque, le chanoine de la cathédrale Saint-Guy aurait dès lors été jeté pieds et poings liés de cet endroit du pont dans la Vltava.
Son tombeau, tout aussi baroquement exubérant, se trouve précisément dans cette cathédrale.
Autre particularité de la statue ? La patine qui caractérise les deux scènes apposées de part et d'autre de son piédestal :
des personnes relativement crédules viennent en effet donner corps à la légende qui, comme d'ailleurs en beaucoup d'endroits touristiques, voudrait que d'ainsi caresser la plaque en bronze permettrait au martyr devenu saint d'exaucer les voeux, quels qu'ils soient ...
Plus sérieusement, pour terminer cette petite visite du pont Charles et avant de vous emmener, samedi prochain 20 décembre, à Mala Strana pour l'ultime déambulation de cette année 2009, je me dois de préciser que beaucoup de ces monuments de pierre ont été remplacés au XXème siècle par des copies, la pollution atmosphérique, à Prague comme partout ailleurs, ainsi que les pluies acides leur étant devenues fatales.