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Des graves malentendus autour du débat sur l’identité nationale (ou l’art présidentiel d’éviter les vraies questions)

Publié le 11 décembre 2009 par Ekaminski

Dans un pays où la liberté d’expression est protégée, il est impossible de refuser qu’une question politique soit posée. La démocratie se nourrit de la liberté d’expression. La question de l’identité nationale peut être posée, mais il n’est pas interdit non plus, pour apporter un élément de réponse, de préciser les limites de cette interrogation, voire de souligner son manque de pertinence dans le débat politique contemporain. Ce texte est une réponse à la tribune, étonnamment faible, du Président de la République publiée dans l’édition du Monde en date du 9 décembre.

Pour revenir dans un premier temps sur un thème traité dans de précédents articles (cf.

V. Des politiques de la diversité contre les droits de l’Homme ?), le concept d’identité présente l’inconvénient d’orienter la discussion doublement vers le passé et de faire oublier l’avenir. La question de l’identité nationale renvoie en effet au XIXème siècle et à la construction historiquement datée de la nation. Cette problématique et les excès auxquels la mise en exergue de la nation a mené sont connus. Rappelons simplement que si la mise en valeur par un individu ou un pays de ses caractéristiques propres ne pose pas de problème en soi, une insistance démesurée ne peut que mener à une course à la justification de soi et à la dépréciation de l’autre.

Le deuxième aspect passéiste du concept d’identité est la fixation, sur le fondement de l’Histoire, de traits immuables. Croire en l’existence de ces traits, c’est figer une réalité en mouvement et se priver de moyens de l’appréhender dans sa complexité dynamique ; et c’est surtout compliquer singulièrement l’élaboration d’un projet politique d’avenir. Le concept d’identité doit rester ce qu’il est : un erreur-utile, un instrument pour aider à comprendre certains phénomènes actuels, mais en rien le fondement d’un projet politique. Or, dans le texte du Président, de la République, aucune trace d’un quelqu’autre fondement…

Ces idées, simples à condition d’être énoncées clairement, devraient pouvoir être entendues dans le débat public : « le peuple » est capable de les comprendre. Malheureusement, quand le peuple se réduit, comme semble le considérer le Président de la République, à un ramassis d’individus soumis à l’emprise de leurs « sentiments », de leur « souffrance » incontrôlable, il est difficile d’établir un dialogue constructif. Dans un régime démocratique représentatif, n’attend-on pas de « l’élu », à qui l’on attribue certaines qualités, d’éclairer et d’élever les débats. Faut-il, pour respecter « le peuple », flatter ses bas instincts ?

Tenter de comprendre la source des souffrances (exprimées, selon le Président, par le résultat de la votation suisse comme par le refus de la Constitution européenne !) du peuple est une étape préalable nécessaire à l’élaboration d’un projet politique en mesure d’y répondre. Mais que penser de la mise en avant, comme unique cause de la souffrance du peuple, de la perte d’identité, illustrée par la « dénaturation du cadre de vie, du mode de pensée et des relations sociales » ? Le courage aurait voulu que l’absence de vision et de projet communs d’avenir face à la crise du système capitaliste dans la forme qu’il a prise ces trente dernières années soient pointées du doigt. Ces questions doivent être, pour le Président, un peu trop compliquées à aborder, à moins que « le peuple » ne soit pas en mesure de comprendre. Dont act : parlons aussi de la crise du système d’enseignement en France et de l’abandon des cours obligatoires d’histoire-géographie en terminale !

Les choses deviennent particulièrement graves quand la réalité et, pire encore, le langage dont on use pour l’exprimer, sont tordus pour correspondre aux idées que l’ont souhaite promouvoir, au risque de rendre absolument impossible toute discussion. Des idéologies s’y sont risquées au siècle passées qui n’ont pas réussi à l’Homme. Ainsi le Président redéfinit le terme de métissage à sa convenance : « ce n’est pas la négation des identités, c’est […] la reconnaissance, la compréhension, le respect […]». Pardon, mais, Monsieur le Président, vous parlez ici d’autre chose, de quelque chose de nécessaire au vivre ensemble, mais très différent du métissage. Peut-être trouvez-vous ce terme assez « tendance » pour être inséré dans votre texte. Le métissage, c’est le mélange, c’est l’abandon de son identité dans l’acceptation, plus ou moins consciente, de la fusion avec l’autre ; et la création de quelque chose de nouveau (pensons à la langue créole). Il y a donc ici un contre-sens. C’est regrettable qu’il soit fait par le premier personnage de l’Etat.

Mais au moins, à la fin de la lecture de la tribune, tout devient clair, l’opinion simple de notre bon Président apparaît dans toute sa cohérence : ==musulmans, vous êtes la cause de la souffrance du peuple parce que vous ne vous sentez pas citoyens ; respectez l’identité nationale (en abandonnant ce qui fait de vous des musulmans ? le musulman ne peut-il jamais être totalement français) et nous vivrons tous heureux==. Si cela ne fleurait pas un type d’intolérance très diffus qui rappelle des évènements tragiques, si cela ne masquait pas les vrais enjeux d’un système d’intégration en manque d’un projet politique fédérateur, nous aurions presque pu penser que les choses étaient finalement évidentes…

Monsieur le Président, c’est peut-être cela le populisme : la simplification à outrance d’une situation par mépris d’un peuple que l’on pense trop stupide pour comprendre ; une simplification rendue nécessaire par l’absence de courage, je n’ose pas dire de compétence, pour penser autrement un avenir commun à inventer. Arrêtez de jouer avec « le peuple », Monsieur le Président, même si la France n’est pas la Suisse, les choses pourraient mal tourner plus vite qu’on ne le croit…


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