Il y a un volet des statistiques de ce blog que je chéris : c’est l’origine de mes visiteurs. Bien sûr, il y a ceux qui viennent des quelques blogs littéraires qui mentionnent mon blog dans leurs liens –merci, moi aussi je vous aime – mais il y a aussi ceux qui débarquent après une recherche Google.
Parmi ces recherches, je vois fréquemment apparaître « Comment écrire un roman ». Citons aussi les plus prudents qui demandent seulement « Comment commencer un roman », ce qui n’est déjà pas mal. Je n’ai, par contre, jamais vu de « Comment terminer un roman » : j’imagine que, lorsqu’il en est arrivé là, chacun préfère finir tout seul. J’ai vu aussi : « Comment écrire un best-seller », et cette confiance m’honore et me trouble : Google me considère-t-il comme un auteur de best-sellers pour m’envoyer des visiteurs aussi ambitieux ? Ah, s’il savait !
Quoi qu'il en soit, puisqu'ils arrivent chez moi, je ne peux pas les décevoir. Restez, restez, je vous explique.
Comment écrire un roman ? C’est très facile. il suffit de se mettre devant son clavier à 5 H du matin. Et vous pensez alors : il y a dans le monde des milliers d’écrivains, dont plusieurs pas douchés, en pyjama, penchés sur leur clavier, qui sont en train d’écrire un roman en buvant du café. Je fais partie de la grande famille, je me laisse emporter par cet élan collectif et, comme eux, je vois venir les idées, les phrases, il ne me reste plus qu’à taper sans fautes d’orthographe. Vous voyez, c’est facile. Mais c’est le plus dur. Surtout en hiver, quand la chaudière fait grève.
Si ça ne suffit pas, je peux ajouter quelques suggestions, mais modestes : je n’en suis qu’à mon septième livre, mon quatrième roman, et je n’ai toujours pas obtenu le Prix Goncourt – ça commence d’ailleurs à devenir humiliant. Pas non plus de Palmes académiques, et là ça frise le scandale.
Ce sont, j’insiste, mes repères. Des repères très personnels ; il est permis de penser autrement, il est même permis de réussir autrement. Quand j’écris un roman, voici ce que je me fais un devoir de mettre dans ma recette :
- des personnages porteurs d’un trait de caractère fort, ou d’une idée forte, mais évolutifs. Le trait de caractère fort n’est pas forcément un caractère fort (ce trait peut être la mollesse, ou l'indécision, comme l'Alexis du roman "Le film va faire un malheur") ; ce trait permet de guider le personnage, de lui donner un mouvement dans la vie. Je ne l’ai pas inventé, c’est une ficelle des écrivains du XVIIème au XIXème, de la commedia dell’arte. Des Grecs aussi, quelques milliers d’années plus tôt. Le péril, c’est de tomber dans le personnage monomaniaque, caricatural. Il faut donc en permanence nuancer cette poussée par des contradictions : contradiction de la réalité, contradiction apportée par d’autres personnages, contradiction du héros lui-même.
J’évite les héros héroïques, parés de trop de vertus, méritant tellement la sympathie qu’ils en deviennent détestables. Je ne cherche pas non plus à provoquer à tout prix l’identification du lecteur à mes héros : s’il a besoin de ça, il n’a pas besoin de moi. Et cette contrainte freine les mouvements des personnages, leur descente aux enfers.
- les personnages secondaires doivent être plus simples, pour ne pas perturber la narration. Ce sont des masques, il faut les utiliser comme tels. Je réserve les nuances aux héros.
- une intrigue. Elle est parfois complexe, parfois minimale, mais elle doit être là. En tout cas, dans mes romans. L’intrigue doit pouvoir se résumer sous la forme « Est-ce que le héros arrivera à... », la phrase pouvant être mise au pluriel.
Exemple, dans « Le Vertige des auteurs » : Est-ce que Sylvain Vasseur arrivera à devenir un écrivain publié ? ». Ou, dans « Le film va faire un malheur » : Est-ce qu’Alexis finira par tourner le film sur la vie de Sammy, le malfrat ?
C’est, pour moi, une question de respect pour le lecteur : il me paraît impensable de me lancer dans un roman sans avoir travaillé sur l’intrigue, sans en avoir une vision claire : je veux savoir où je vais mener le lecteur, même si je ne sais pas exactement par quels chemins.
- une intrigue secondaire, il faudrait plutôt dire « une tension ». Elle concernera souvent les rapports entre deux héros du roman. Cette tension n’est pas décorative, elle sera souvent le piment de l’intrigue. Est-ce que Sylvain Vasseur et Arlette parviendront à sauver leur couple ? (Le Vertige...). Est-ce que Sammy et Alexis finiront par devenir amis ? (Le film...). Cette tension permet de donner un sens aux rapports humains, une progression, dans les dialogues. Elle peut finir par devenir plus importante que la vraie intrigue, et ce n’est pas grave.
- un regard. C’est un impératif absolu. Regard sur la société, sur une micro-société (le monde de la publicité et du cinéma, le monde de l’édition), regard sur la nature humaine. L’intrigue est essentielle, la tension aussi, mais elles ne sont là que comme prétexte à exprimer ce regard. « La littérature, c’est ce qui reste quand on enlève l’histoire ». Voilà pourquoi je déteste la majorité des thrillers américains du genre Da Vinci Code : ils ne me thrillent pas du tout, ils s’épuisent à m’embarquer dans des rebondissements (généralement tous construits selon la même trame), mais ils n’ont regardé que quelques clichés, de vagues décors. Ils n’ont rien fait voir.
J’évite, dans ce regard, comme dans la création des personnages qui le portent, tout ce qui peut ressembler à de la bien-pensance. Penser en se moulant dans les clichés d’une époque, c’est entrer dans la littérature servile.
- un ton. C’est le plus difficile à expliquer, c’est aussi le plus difficile à obtenir. Le ton, c’est la voix du comédien qui lirait le texte. J’en suis obsédé quand je commence un roman, ou même une nouvelle. Il ne suffit pas de se dire « Je vais prendre une voix émue – ou grave, ou drôle, ou amère ». il faut aller plus loin dans l’intonation d’écriture. Je peux passer des semaines à écrire, effacer, récrire, effacer à nouveau, car le ton ne me convient pas. Une fois qu’il est installé dans les 100.000 premiers signes, le ton devient si évident que l’on n’y pense plus. Sauf si on interrompt trop longtemps l’écriture. Cela m’est arrivé pour mon prochain policier, « La commissaire n’aime point les vers ». Je m’étais offert une longue pause avant d’achever ce roman. La directrice littéraire de La Table Ronde, qui est fine mouche, a tout de suite remarqué que quelque chose avait changé. J’ai décidé de tout reprendre, et je ne l’ai pas regretté.
- une qualité d’écriture. Ce devoir de peaufinage, c’est en devenant auteur publié que j’en ai compris l’importance. Je passe deux fois plus de temps à corriger qu’à écrire. Faut-il que ça se voie, ou que ça ne se voie pas ? Je veux en tout cas que chaque page puisse être parcourue sans ennui de lecture, sans agacement, sans froncement de sourcils. Certes, je ne suis pas forcément le meilleur juge, mais il m’arrive de changer l’histoire si sa narration passe par une page, ou même un paragraphe, qui persiste dans la balourdise, malgré tous mes efforts. Le style est toujours plus important que le récit.
- une vision autre. Peut-être ne suis-je pas assez sûr de moi, mais je suis très soucieux de savoir ce qu’en pensent les autres. J’ai la chance de pouvoir compter sur trois ou quatre lecteurs qui ont aussi une excellente écriture. Je leur soumets ce que j’écris, parfois en cours d’écriture quand je ne suis pas sûr. Leur retour de lecture m’est toujours salutaire – même quand ils se contredisent entre eux, même quand je ne tiens pas compte de tous leurs commentaires. Ces retours me rappellent qu’en écrivain est toujours trop vite content de lui.
C’est d’ailleurs l’impression que je vais donner en terminant ce billet. Il va maintenant que j’écrive en me conformant à tout ce que je viens d’expliquer, ce sera difficile.
Il peut bien sûr y avoir d’autres critères, qui complètent ou précisent, ou qui contredisent, ceux que j’ai donnés ici. Le contraire serait inquiétant.
Et vous, qu’en pensez-vous ?