Anne-Lise Maillet rédige actuellement son mémoire de maîtrise sur le street art, elle est par ailleurs un des membres fondateurs du collectif Shake Yourself. Anne-Lise nous propose de revenir sur ce qui restera à n'en pas douter un des événements artistiques majeurs de l'année écoulée, à savoir l'exposition de Futura 2000 qui s'est déroulée du 21 au 24 octobre dernier (dans le cadre de la FIAC 09) à l'Ecole Spéciale d'Architecture de Paris. Pour les lecteurs de SCS, elle a choisi de s'entretenir avec la commissaire de cette exposition, Vanessa Clairet, afin de revenir avec elle sur la genèse de cette initiative... comme sur ses prolongements attendus.
Vanessa, peux-tu revenir sur la genèse et les motivations du projet de l'exposition de Futura lors de la FIAC 2009 ?
Le point de départ de ce projet est marqué par la volonté de Patrick Lerouge et moi-même de déplacer la lecture de l’oeuvre de Futura du registre strictement "street art" vers une approche plus large, en regard de l’art contemporain dans son ensemble et de la peinture en particulier. La collection de Patrick Lerouge regroupant l’un des plus importants fonds d’oeuvres de cet artiste, il nous était aisé d’imaginer un parcours à travers les différentes périodes de son travail, depuis ses débuts sur les rames de métro dans les années 70’s, ses premières expositions en galeries à New York, jusqu’à ses travaux photographiques et ses nouvelles peintures. L’idée était de donner à découvrir ou à redécouvrir le travail de Futura, artiste trop mal connu par le grand public et les professionnels de l’art contemporain, plus particulièrement en France où Futura n’a jamais bénéficié d’une grande exposition monographique.
Nous avons donc imaginé une première étape à cette exposition monographique, sous forme d’un statement très ponctuel qui devait s’inscrire dans le cadre d’un grand rendez-vous de l’art contemporain international, d’où l’idée d’inclure cette exposition dans le Parcours privé de la FIAC. Au vu de la difficulté d’organiser un tel projet dans une institution publique, nous avons décidé de chercher un lieu moins officiel, et qui donnerait un éclairage cohérent au travail de Futura. Notre choix s’est finalement porté sur L’Ecole Spéciale d’Architecture, une structure très ouverte sur l’art, sur la ville et sur le mouvement street art en particulier puisque l’Ecole a déjà collaboré avec divers artistes par le passé. La collision entre l’architecture, la peinture de Futura et la FIAC nous a semblé un cadre approprié pour dévoiler une partie des trésors de la collection de Patrick Lerouge, des oeuvres qui n’avaient jamais été exposées pour la plupart.
Comment s'est faite la rencontre avec Patrick Lerouge ?
Je connais Patrick Lerouge depuis quelques années déjà, nous nous sommes rencontrés autour d’un projet de mécénat mené par Serge Malik et sommes depuis devenus amis.
Patrick m’a sollicitée il y a un an et demi pour réfléchir à la monstration de sa collection regroupant des oeuvres de Futura mais aussi de grands noms du street art international comme Dondi White, Jonone, Quick, Seen, Stash, L’Atlas, Tank, André, mais aussi de photographies de Martha Cooper, Henry Chalfant et Maripol.
La démarche de Patrick Lerouge m’a intéressée car elle était essentiellement tournée vers les artistes et non pas vers la valorisation de sa collection ni de son nom. Sa collection est avant tout une histoire de passion, à l’image de sa relation avec Futura qui lui a offert son premier dessin lors d'un concert de Herbie Hancock en 1981.
Plutôt que d’organiser une exposition de plus sur le street art, j’ai proposé à Patrick Lerouge de centrer son projet sur une présentation monographique de Futura, légende du street art mais aussi peintre de grand talent, dont le travail peut à mon sens se mesurer à celui de Hans Hartung ou de Christopher Wool. Après plusieurs mois de gestation, de démarches, de recherches, nous sommes tombés d’accord pour organiser un projet en deux temps : une exposition statement, offrant un aperçu de la collection dans un laps de temps très court (la durée de la FIAC), puis une exposition de plus grande envergure dans un musée international à l’horizon 2011.
Comment as-tu pensé le défi d'exposer les oeuvres de Futura dans un lieu aussi particulier que l'école Spéciale d'architecture ?
Plutôt qu’un défi je parlerais d’une opportunité que d’organiser une exposition sous la verrière classée de l’Ecole Spéciale d’Architecture ! Cette salle angulaire sur mezzanine est effectivement très particulière, mais offre également de belles possibilités d’exposition sous une lumière naturelle et avec une sensation d’espace très appréciable.
Dès le départ nous avons limité la sélection d’oeuvres à une douzaine, afin de ne pas saturer l’espace d’exposition et de ne pas devoir construire de cimaises, qui auraient cassé la ligne fluide de la mezzanine. De plus l’idée était d’offrir un aperçu de la collection de Patrick Lerouge et en aucun cas de dévoiler toutes les oeuvres que nous nous réservons pour l’étape 2 du projet.
La présence de belles poutres métalliques à la facture industrielle ainsi que la hauteur limitée des cimaises murales ont également déterminé le choix des oeuvres et leur accrochage, qui ne devait pas perturber la lecture dynamique des peintures. Au final, nous avons présenté des peintures de toutes époques dans une logique formelle plutôt que dans une approche purement chronologique. Le lieu atypique, à la fois dans son architecture et dans sa fonction (nous sommes dans une école et non pas dans une galerie d’art) a donné son identité au projet : une exposition vivante et ouverte sur la ville.
Qu'est-ce qui a motivé ta « ligne curatoriale » au sein de la collection de Patrick Lerouge (choix des oeuvres, propos de l'exposition, programmation autour de l'exposition) ?
Comme je l’expliquais précédemment, l’idée n’était pas d’offrir une vision exhaustive de la collection Lerouge, ni même de l’oeuvre de Futura, mais de donner à voir la diversité de son travail à travers des oeuvres clefs qui marquent l’histoire de sa peinture. Je voulais donner envie aux visiteurs de découvrir le travail de l’artiste, dans sa diversité et sa complexité. A travers cet accrochage, je souhaitais que l’on saisisse la particularité de la peinture de Futura, nourrie des codes acquis dans la rue, et qui transcende aujourd’hui les pratiques et les courants. Ma réflexion sur le choix des oeuvres et la scénographie s’est également nourrie de ma collaboration avec l’équipe de l’Ecole Spéciale (Leïla Colin-Navaï en particulier) et de jeunes architectes diplômés de l’Ecole.
Par ailleurs, il fallait prendre en compte la durée très courte de l’exposition (4 jours) qui coïncidait délibérément avec celle de la FIAC. Nous avons pour cela organisé des visites de l’exposition tous les jours avec des professionnels de l’art contemporain ayant une relation privilégiée avec le travail de Futura : Leanne Sacramone de la Fondation Cartier, Arnaud Oliveux de la maison de ventes Artcurial et le collectionneur Alain-Dominique Gallizia.
L’exposition a également été marquée par une table ronde autour de l’oeuvre de Futura et son rapport à l’urbain avec Magda Danysz (galeriste), Anne-Lise Maillet (commissaire d’exposition), Valérianne Mondot (Taxie Gallery), Zevs (artiste) et Serge Malik (éditeur, producteur).
Tous ces rendez-vous ont été conçus comme de multiples points d’entrée à l’exposition et au travail de Futura, encore largement méconnu et mésestimé. Nous avons également eu la chance de compter sur la présence de l’artiste à nos côtés durant la préparation de ce projet et le vernissage de l’exposition. Il a offert au public une magnifique performance le soir du vernissage (fresque in situ au sol) et a répondu à de nombreuses interview et sollicitations malgré sa discrétion habituelle.
Au titre de ton parcours professionnel figure un passage chez agnès b. De quand date ta rencontre avec l'art urbain ? Quel est ton parcours de commissaire ?
J’ai effectivement travaillé trois ans au mécénat et à la communication chez agnès b., une maison qui a l’habitude de côtoyer le street art car Agnès fut l’une des premières collectionneuses et galeriste à soutenir le travail de jeunes artistes issus du graffiti. Futura lui-même a bénéficié de l’aide d’agnès b. à l’époque où peu de gens s’intéressaient à son travail. Dans le cadre de cette précédente expérience professionnelle j’ai participé à l’organisation d’expositions autour du street art telles que "Ugly Winners" à Paris, "East-West propaganda / WK Interact vs Shepard Fairey" à Tokyo et Paris ou encore "Downtown 81" à Paris et New-York. J’ai également travaillé sur de multiples expositions abordant avec plus ou moins de distance l’art urbain, ce qui m’a donné une vision plus large de cette appellation qui regroupe de nombreuses familles d’artistes et de pratiques en réalité.
Par exemple, j’avais précédemment travaillé avec Serge Malik pour le compte de Havas sur une exposition d’affiches créées par vingt artistes et exposées sur des panneaux 4x3 à travers toute la France. Jonone, BBC, Shepard Fairey, Zevs y participaient, mais aussi Raymond Hains, Katinka Bock, Georges Rousse ou Wang Du, qui ne sont pas à proprement parler des "street artistes". Le projet n’en était pas moins une intervention artistique dans la ville, qui interagissait avec l’urbain, l’architecture et les passants. L’art urbain est une appellation très large, aux frontières floues et mouvantes, pour le plus grand bonheur des artistes.
Peux-tu nous commenter ton actualité artistique ?
Dans le cadre de la collection Lerouge, nous travaillons actuellement sur un projet d’édition, une petite publication qui documenterait l’exposition à l’Ecole Spéciale et les événements corolaires. Mais ce qui nous occupe le plus est la préparation de l’étape 2 du projet, à savoir l’organisation d’une exposition monographique d’envergure sur l’oeuvre de Futura dans une grande institution. Nous en sommes aux fondements du projet, mais beaucoup de pistes se dessinent, en Asie, en Amérique et bien sûr en Europe. De grandes attentes accompagnent ce projet et nous souhaitons continuer de promouvoir de manière professionnelle et passionnée le travail de Futura durant les prochaines années.
La suite au prochain épisode !
Photos : Karl Hab