De Shanghaï à Bangkok
De Shanghaï à Bangkok sur une coque de noix
Sydney à Caracas les jours qui passent sans toi
Traînant de port en port l'ennui à bord le bourdon
Je repense au retour dans quelques jours c'est long
C'est pour toi ma jolie que je suis sorti vainqueur
De ces îles perdues où l'on tue où l'on meurt
J'ai jeté par dessus bord tous mes remords ma conscience
Pour sortir victorieux du cap de désespérance
Je t'avais promis en te quittant
D'aller conquérir un continent
De piller toute la fortune de la terre
Il y en aurait tant qu'on n'en saurait que faire
Je t'avais promis en te quittant
Des pièces d'or pour ton bracelet
Je crois que c'est raté
De Shanghaï à Bangkok parmi les docks j'ai flâné
Les filles de couleur m'offraient leur cœur à aimer
Quand j'avais trop le noir j'allais les voir et pourtant
C'est toi qui as mon cœur jolie fleur que j'aime tant
En croyant m'enrichir j'ai vu périr mes dollars
Aux dés ou au poker jeux de l'enfer du hasard
Quand le piano à bretelles jouait le fameux air que t'aimais
Je ne suis pas mélomane mais le vague à l'âme me prenait
Je t'avais promis en te quittant
De revenir chargé de diamants
De quoi faire pâlir le soleil et la lune
Mais je n'ai que la peau et les os pour seule fortune
Je t'avais promis en te quittant
De pouvoir te mériter
Je crois que c'est raté
Adieu Shanghaï Bangkok et ma défroque de marin
Car la prochaine escale c'est le canal Saint-Martin
Je n'aurai pour merveille qu'un peu de soleil dans les mains
Mais quand on se retrouvera
Le bonheur qu'on se paiera
Vaudra bien quelques millions de carats
Et je crois que nous serons bien assez riches comme ça
Barbara
Ecouter cette chanson de Barbara c'est aussi poser le pied sur des rafiots, rongés par la rouille, de la marine marchande. Revoir des images de films anciens : "Dédée d'Anvers", "Le quai des Brumes"... Retrouver la couverture d'un livre de poche de Francis Carco "Brumes", parcourir un texte de Conrad, et bien sûr plonger dans l'univers de Kavvadias. Les équipages de cargos, les escales dans tous les grands ports du monde, les filles à matelots, les "maisons", les rixes, la violence, les bas-fonds... et la mer, naturellement....
Quatrième de couverture :
"Je voudrais qu'on oublie aussi mes ossements, mais dans un bordel. et que les femmes s'en servent comme canules pour leurs bocks, comme fume-cigarettes, comme sifflets."
Odyssée moderne d'une noirceur totale, Le Quart relate les errements d'une embarcation sans âge, en route vers la Chine. Cercueil flottant, le cargo et son équipage voguent sans cesse vers d'autres ports, d'autres maraudages, d'autres bordels et d'autres putains. Entre deux escales, les marins grecs qui se trouvent à bord nous livrent sans pudeur leurs misérables existences; ils ressassent leurs aventures, leurs amours, leurs échecs, avec une amertume et une mélancolie abyssales.
Chef-d'oeuvre publié en 1954, le roman du poète grec Nikos Kavvadias parle de l'absurdité humaine mais aussi et surtout de la mer, ce lieu mythique que, de Conrad à Cendrars, nul n'a si bien décrit que lui.
Nikos Kavvadias - Le Quart - Folio n° 4812