KEYNES (1883-1946) est l’un des économistes qui a fait le lien entre le monde du 19e siècle et le 20e siècle, comme dans leur domaine, Freud, Proust, Nietzsche et quelques autres.
Issu d’une famille d’universitaire libérale, et libéral lui-même, il fait ses études à Cambridge. Esthète, épicurien, il participe au groupe de Bloomsbury, auquel appartiennent Virginia Woolf, Bertrand Russell, Ludwig Wittgenstein. Mathématicien, il a fait ses premiers travaux académiques sur la théorie des probabilités. Il se passionne pour le concept d’incertitude dans le futur. Il publiera en 1922 son traité sur les probabilités. Praticien de l’économie politique, il a été témoin de l’incompétence des hommes politiques à mesurer l’impact économique de leurs décisions : la spécialisation commerciale des colonies, la réparation des dommages de guerre, le retour de l’étalon or, la déflation, la réforme monétaire. Précurseur de la statistique et de la comptabilité nationale,il se distingue dans sa volonté de mesurer les différents phénomènes économiques sur lesquels agir….il a le génie de définir et distinguer dans l’activité d’épargne, d’investissement et de consommation, la part qui revient au rationnel et celle qui est d’ordre psychologique. Adepte de l’économie en déséquilibre, il mettra en évidence qu’une économie ne connait que rarement une situation de plein emploi de ces facteurs de production. Et que la situation économique dumoment connait toujours des fluctuations provenant des résultats heureux ou moins heureux des décisions des agents économiques. Boursicoteur, il identifiera l’originalité, la place et le rôle déstabilisant du marché financier. Il introduira aussi le rôle des anticipations dans toutes décisions économiques, les courtes comme les longues. (Célèbre chapitre 12 de la théorie générale). Monétariste avant l’heure, il démontrera, que dans une économie monétaire, il est possible de jouer sur les anticipations des agents afin d’infléchir l’activité réelle en utilisant la création monétaire et/oules dépenses publiques non anticipées. Enfin, à la recherche de la réforme monétaire idéale depuis les années 20, il fera ses dernières armes à Bretton Woods, petite station de ski du New Hampshire, dans la délégation anglaise qui négociera avec les américains de la création d’une devise mondiale, que ceux ci ne voulaient pas : favorisant le dollar as good as gold au détriment de sa monnaie, le BANCOR.
Bref, si aujourd’hui, on relit avec bonheur nombre de ses articles et on analyse les chapitres de ses principaux livres, il est l’intellectuel, qui sut s’appuyer sur les observations d’un monde en grande mutation afin de présenter une vision du monde et les outils nécessaires à toutes actions publiques. Et, s’il était respecté dès les années 20 pour la justesse de ses propos, à contrepied des positions des politiques et technocrates européens, il verra ses thèses vérifiées après sa mort au début des trente glorieuses, lorsque les gouvernements européens auront à cœur de reconstruire en adoptant le contrat économique et social qui les liaient à la population en souffrance.
Aujourd’hui, si KEYNES serait conforter dans sa démonstration d’un équilibre de sous emploi durable, je ne suis pas certain qu’il apprécie le niveau d’endettement des Etats et des ménages. Il jugerait la montée des emprunts comme un échec du processus de stabilisation économique et sociale des trente dernières années. L’impossibilité de trouver les spécialisations suffisantes favorables à plus de croissance et plus de satisfaction dans le contrat social et politique du moment.
Il s’interrogerait sur le niveau grandissant de l’instabilité de la finance internationale. Il serait tenté de remettre en avant son argumentaire de Bretton Woods, afin de mieux faire comprendre l’utilité de création d’une monnaie internationale et d’une institution internationale garante de la diffusion de l’épargne mondiale aux pays déficitaires.
Il aurait aussi appelé de ses vœux une distinction de l’activité des banques d’investissement et de dépôts. Et des filets de sécurité libéraux réservés essentiellement au sein de cette dernière activité (de type assurance de portefeuille. La création et l’utilisation des marchés dérivés modernes l’aurait passionné si tant est que les instruments crées servent effectivement à des opérations liées à l’activité économique. N’oublions pas qu’il associait toujours l’équilibre social recherché à toute décision économique des décideurs.
Enfin, il aurait essayé d’adapter la globalisation économique actuelle en tenant de réduire l’intensité des chocs sociaux domestiques inhérents à la crise. La globalisation internationale, et la spécialisation qu’elle suppose pour tout pays l’aurait quelque peu effrayée. Il aurait privilégié le maintien de l’activité domestique, à prix plus élevé et donc un certain niveau de protection nationale, afin de réduire les mutations agricoles et industrielles interne à chaque pays. Et amené ainsi dans la durée, l’ère des services à la personne et du quaternaire lié à la communication et aux technologies de l’information.
Jean Christophe COTTA, Allocation & Sélection.
Bibliographie :
·Robert Skidelski : The return of the master Allen Lane, 2009
·Robert Skidelski : John Maynard Keynes t.1.2 et 3 (1983,1990,2000)
·Keynes : Théorie Générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Payot, 1936
·Keynes : Essays in persuasion, 1931
·Keynes : Réflexion sur le franc, Simon Kra, 1928
·Keynes : la réforme monétaire, Simon Kra, 1924
·Keynes : les conséquences de la paix, Simon Kra, 1920