Voici donc venu le 11 décembre, fin de l’embargo décrété par la Fox pour les journaleux qui ont pu assister à l’une des projections de presse d’Avatar. Comme je suis un type réglo, je me suis retenu, difficilement certes, mais en mesurant aussi le nombre d’emmerdements auxquels je m’exposais en ne respectant pas la parole donnée (j’ai quand même signé leur papier, et même si ce blog est totalement informel ma parole m’engage, et puis ces mecs-là quand ils sont en rogne c’est la NSA, ils peuvent te traquer jusque sur tes chiottes pour te faire cracher le morceau, hein… Bon j'en fais trop peut-être). Cela étant dit, certains se sont visiblement affranchis de leur « serment » sans trop de remords (pas vrai Forestier ? On lui pardonne, vu la teneur de son propos, car il est dit qu’il sera pardonné aux vrais croyants).
Il faut le préciser avant toute chose, et on va y revenir de suite, Avatar est bel et bien une claque phénoménale - à ce niveau d’impact on peut même parler de tabassage en règle. Je n’imagine dès lors pas que la presse puisse être défavorable – et elle ne le sera pas, du moins je l’espère. Cela étant, le film est également la victime rêvée pour certains nuisibles :
-Une entreprise démesurée au budget colossal (300 millions de dollars annoncés, mais plutôt 500 selon certaines sources officieuses, le tout hors frais de promo) et qui, tout compte fait, émeut surtout la communauté geek – nombreux sont ceux qui se demandent si le film parviendra à être vraiment rentable, alors qu’il ne s’adresse finalement pas à un si vaste public que cela au départ (voir à ce sujet l’article de slashfilm)... toutefois Cameron a de sacrés antécédents qui pèsent en sa faveur.
-Le retour 12 ans après Titanic de James Cameron, aux manettes d’un film rêvé depuis toujours, sur lequel il s’est engagé comme jamais… comme toujours… mais comme jamais... etc…
-Une attente interminable au cours de laquelle on s’est vu mille fois promettre le film qui allait révolutionner le cinéma, faire table rase de 120 ans de pellicule pour établir de nouveaux canons, récurer nos nerfs optiques au tabasco, et nous laisser pantelants, vidés, anéantis, heureux quoi.
Bref, inutile de dire que certains calomniateurs professionnels salivent déjà à l’idée de désosser le mammouth (j’en ai vu deux trois à la sortie du film, y’en a pas un sur cent et pourtant ils existent ces fumistes, les mains malingres crispées sur un dossier de presse fripé par l’irritation, ressassant déjà les adjectifs « boursouflé » ou « criard » dont ils orneront leur vilaine prose, l’œil luisant de haine, et pas à cause des 2h45 de 3D ou d’une allergie ophtalmique au produit nettoyant des lunettes).
D’emblée, disons-le tout crûment, ceux-là qui, peut-être (mon côté parano), se délectent à l’avance de disséquer longuement et avec un sadisme chafouin les faiblesses du film, je leur pisse à la raie, et méchamment encore. D’abord parce que Cameron est, qu’on le veuille ou non, unique - et pourtant je fais partie des quelques tristes sires qui se sont toujours refusés à s’enquiller les trois heures de guimauve Titanesque ; ensuite parce que le réalisateur d’Avatar est un mégalo candide dont l’enthousiasme juvénile ne semble pas avoir été entamé par la fréquentation des studios et des plateaux de superproductions. Et puis surtout parce que son film est bien la révolution attendue, une tuerie visuelle absolue, sans précédent. La 3D (re)naît réellement avec ce film (ah oui, ne surtout pas aller le voir en 2D, mais bon ça tombe sous le sens). Certes les yeux piquent un peu au début, la formule 3D + sous-titres est rude (oui, c’est également à voir en VO, ne serait-ce que parce que la façon dont les sous-titres se meuvent sur l’écran en jouant des volumes de la 3D est en soi un travail d’orfèvre). Mais sincèrement, est-ce que vous vous interdiriez d’aller voir le concert du siècle par peur de perdre un dixième ?
Très vite on s’accoutume, et on admire (au sens courant : on s’émerveille) : couleurs, reliefs et textures presque palpables, fluidité des déplacements, mouvements de caméras virtuoses… La première heure et demie et la découverte de Pandora sont époustouflantes, à se damner. Pandora existe, elle est là, sous nos yeux, univers sylvestre de SF aux mille nuances, féérie polychrome et phosphorescente. Certes le canevas (cow-boys/indiens) est déjà assez mince, mais quoi, Terminator c’était du Charlie Kaufmann peut-être ? Cameron c’est de l’archétypal, du naïf même, et c’est sans doute pour cela que c’est si immédiatement efficace – à chacun sa patte.
Cela dit, pour être franc, ici le scénario est quand même faiblard, et si cela n’est pas dérangeant au début, la dernière heure, toujours aussi hallucinante visuellement, est nettement moins réussie de ce point de vue. Quelques passages sentent le bout de scotch narratif, certaines coupes sont abruptes (on attendra la version longue), les créatures pas forcément bouleversantes de nouveauté, les personnages non plus donc, un peu creux ou utilitaires parfois, quand ils ne semblent pas exhumés d’Abyss ou Aliens. Quaritch, solidement campé par Stephen Lang, échoue à devenir complètement le méchant d’anthologie attendu. Quelques fautes de goût interfèrent [Attention légers spoilers - seulement des allusions volontairement imprécises, mais mieux vaut prévenir -] : la cérémonie de transmigration des âmes au cours de laquelle nos sveltes elfes bleus menés par leur chaman(esse) se métamorphosent en adeptes new age de la transe indo-afro-beatnik (la world culture accouche souvent de ce genre de syncrétismes un brin crétins) a brièvement convoqué dans mon esprit le souvenir de l’effroyable clip Tahiti douche style de Matrix Reloaded (rappelez-vous, la fête tribale dans la grotte après le discours de Morpheus, un vrai tunnel pour le coup…) ; la question qui ne manquera pas de revenir de façon lancinante chez les esprits pragmatiques (« quand même ils sont pas des masses les Na’vis sur leur planète, c’est bizarre… ») trouve sa réponse en quelques plans très mal sentis qui dévoilent tout un monde oblitéré jusque-là, et mettent au jour quelques failles (on supposait Pandora arborée, uniment et magnifiquement arborée…). On passe sur la conclusion crypto-écolo (le leitmotiv du film) de l’inévitable et superbe affrontement final (elle vengera quand même ceux qui ont pleuré devant Danse avec les loups), parachevée par une chanson originale sur le générique de fin qui a soudain fait fuir les curieux restés sur leurs sièges pour admirer (au sens étymologique : regarder avec étonnement) l'interminable liste technique. [fin de la zone à risque] La BO assez fade composée par un James Horner manifestement pas très inspiré n'est ainsi pas la moindre de ces "interférences". Instillant une rythmique world music sous des nappes de cordes, il ne parvient jamais à se mettre au niveau du spectacle ahurissant proposé par l’imaginaire de Cameron et de son équipe.
Après ces quelques remarques, on pourrait croire que le constat est mitigé. Il n’en est rien. Ces réserves ne sont pas grand chose au regard du plaisir qu’on peut prendre à voir évoluer ce film sous ses yeux, parce que cet univers vit à l’écran comme cela n’a jamais été le cas d’aucun autre auparavant. On trouvera sur une rive ses partisans, sur celle d’en face quelques détracteurs, des gens au milieu du gué, et puis d’autres qui passent en barque à côté et s’en foutent, comme pour presque tous les films. Mais les contempteurs qui n’auront pas la délicatesse de respecter, mieux, de préserver ce monument imparfait, l'immense et splendide joujou d’un gamin de 55 ans, de souligner ses phénoménales qualités, auront ceci de particulier qu’en pensant s’attaquer à une grosse machine insubmersible et calibrée pour ramasser du fric, et donc capable d’encaisser une dégelée sans séquelles, ils agresseront en vérité un colosse aux pieds d’argile, fruit d’un investissement déraisonnable au vu de sa cible peut-être limitée, caprice seulement consenti au réalisateur du carton le plus absolu de l’histoire, et ils fouleront aux pieds un rêve devenu réel, soit la chose la plus vulnérable qui soit – financièrement, Cameron, Landau et d’autres avec eux sont à poil, là tout de suite.
Tous mes vœux de prospérité à Avatar, longue vie, et merci.