Akira Kurosawa (5ème partie): Dodes Kaden

Publié le 10 décembre 2009 par Olivier Walmacq

10 décembre 2009

Akira Kurosawa (5ème partie): Dodes Kaden

Dodes Kaden (1970)


Barberousse, sorti en 1965, remporte un certain succès mais insuffisant cependant pour assurer le remboursement total des dépenses pour cette production. Si la critique est unanimement enthousiaste, les producteurs japonais, eux, se détournent de « l'empereur », épouvantés par son intransigeance et son perfectionnisme. Barberousse marque vraiment la fin d'une époque. Pour ne pas rester inactif, Kurosawa se tourne vers les Américains qui le sollicitent depuis longtemps. Entre 1966 et 1969, le cinéaste travaille sur trois projets différents. Le premier devait être une évocation de la figure du général Custer. Les producteurs américains veulent Toshiro Mifune dans le rôle du chef indien. Kurosawa s'y oppose et le projet avorte rapidement. Le deuxième projet américain s'intitule The Runaway Train. Inspiré d'un fait divers qui se déroula à Chicago, un train de marchandises avec trois hommes à son bord et privé de son conducteur, avait traversé la ville à 130 à l'heure. Kurosawa exige que son équipe habituelle (une vingtaine de techniciens) l'assiste sur ce tournage. Le producteur ne lui accordera qu'un interprète japonais. Kurosawa abandonnera également ce projet mais en 1986, Andreï Konchalovski réalisera le film avec Jon Voight, Eric Roberts et Rebecca de Mornay. Le dernier projet est Tora ! Tora ! Tora ! Le producteur, Darryl Zanuck, également patron de la Twentieth Century Fox, souhaitait que ce film sur l'attaque de Pearl Harbor soit coréalisé par John Ford et Akira Kurosawa. L'un tournant les scènes américaines et l'autre les scènes japonaises. Malheureusement, ni l'un ni l'autre ne sera retenu pour la réalisation du film. Kurosawa doit quitter le tournage au bout d'une semaine seulement car son perfectionnisme exaspère Zanuck. Le film sera finalement réalisé par Richard Fleischer et Kinji Fukasaku.


Si l'expérience américaine n'a abouti à rien, au Japon, ce n'est guère mieux. En discutant avec quelques amis metteurs en scène confrontés aux mêmes difficultés, Kurosawa parvient à la conclusion suivante: il faut fonder sa propre maison de production. Elle s'appellera Yonki No Kai (les Quatre Cavaliers). Ces cavaliers étant Kurosawa, Kinoshita, Ichikawa et Kobayashi. Le premier projet mis en chantier par cette nouvelle société de production est confié à « l'empereur. » Il s'intitule Dodes Kaden. Tout comme Barberousse, ce film est inspiré d'un livre (Quartier sans Soleil) de Shugoro Yamamoto, un écrivain contemporain attentif à la vie et aux sentiments de la classe japonaise la plus déshéritée. Le film est réalisé avec un budget très serré. Et au final, le tournage s'achève au bout de 28 jours au lieu des 44 prévus sur le plan de travail. Tourné uniquement avec des acteurs inconnus, Dodes Kaden est composé de huit histoires qui s'entremêlent tout au long du métrage. Rokuchan, un jeune garçon de quinze ans un peu attardé, a grandi en voyant passer les tramways non loin de la masure qu'il habite en compagnie de sa mère. Le garçon a choisi d'être conducteur de tramway. Du matin au soir, il conduit un tram imaginaire dans un bidonville en répétant: « dodes kaden, dodes kaden. » L'onomatopée qui suggère le bruit des roues du train sur les rails. Nous partons alors à la découverte de divers personnages habitant ce quartier déshérité. Par exemple, il y a ce clochard qui vit avec son fils de six ans dans une carcasse de voiture. Il passe ses journées à rêver à de belles maisons avec piscine. Son fils descend tous les soirs en ville pour ramasser les restes dans les cuisines des restaurants (les distributeurs voulaient couper ce passage, jugé trop cru). Plus tard, le petit garçon mourra empoisonné après avoir mangé un poisson avarié. Dodes Kaden est un film tragique, certes, mais pas désespéré. C'est aussi une œuvre touchante et novatrice. De plus, il s'agit ici du premier film en couleurs de Kurosawa. Il avait refusé pendant plusieurs années à utiliser la couleur par crainte de ne pas réussir à obtenir les effets désirés avec les pellicules de l'époque.


L'idée de tourner un film sur les bidonvilles de Tokyo au moment où le boom industriel bat son plein, est aussi téméraire que suicidaire. Après l'échec retentissant du premier et du seul film de la société de production Yonki No Kai, les projets des quatre cinéastes, qui s'étaient promis de défendre le cinéma d'auteur, seront abandonnés. L'échec plonge Kurosawa dans un état de profonde déprime. En 1971, le monde cinématographique est bouleversé à l'annonce de la tentative de suicide du cinéaste japonais. Vingt ans plus tôt, l'Idiot avait failli être son dernier film. Dodes Kaden également.

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