Sept corps nus et un crâne

Par Marc Lenot

  

C’est un motif familier que cet assemblage de corps nus formant un crâne. Salvador Dali conçut et dessina cet assembalge que Philippe Halsman photographia comme portrait de Dali en 1951 (In Voluptate Mors). Piotr Uklanski, toujours prompt aux hommages, réalisa Untitled (Skull) en 1999. L’affiche du film Le silence des agneaux reprend ce motif subtilement dans la tête du papillon sur la bouche de Judy Foster, alors que celle du film The Descent de Neil Marshall (2005) non seulement est inversée mais de plus, pudibonderie anglo-saxonne oblige, les corps n’y sont pas dénudés. Le photographe de mode Jordan Doner en a aussi fait deux interprétations, et, il y a quelques mois, Giasco Bertoli fit de même avec sept danseuses de la compagnie Les gens d’Uterpan (ci-dessous à droite).

  

C’est donc un motif connu, vu et revu, chargé d’histoire et d’exégèses, auquel s’attaque ici Uterpan. Si l’effet de surprise est dissipé par la pré-visibilité de la citation (d’autant plus qu’une vidéo - L’homme qui aimait les femmes- décrit déjà la photo-performance de Bertoli), cela désarçonne d’abord, mais permet ensuite de se concentrer sur la construction même de la pièce. Samedi dernier, donc, au CAC Brétigny, en marge de l’exposition Réversibilité, qui traite de la dé-création (jusqu’au 30 janvier), les gens d’Uterpan ont produit une Pièce en sept morceaux, chorégraphie d’une heure où sept danseurs, trois femmes et quatre hommes, construisent et déconstruisent ce crâne iconique. Les premières figures sont colorées, les danseurs ayant tous des T-shirts de couleurs vives, et ces compositions au sol, à deux ou trois, forment de beaux assemblages. La pièce ne cesse de se faire et de se défaire, se composant par bribes ici pour se déstructurer là, selon un rythme lent, mais inexorable. En même temps, un mur en L au centre de la salle bouge lentement d’une extrémité à l’autre, cachant ce qu’on voyait, changeant le point de vue, forçant le spectateur à trouver une nouvelle place : c’est la sculpture Moving Wall de Robert Breer.

Peu à peu, les vêtements tombent comme à regret et jonchent le sol, la diversité des couleurs disparait, les corps nus aux teintes uniformes apparaissent, s’apparient, se regroupent, se figent enfin pour constituer le motif sommital, le crâne parfait. La tête de la danseuse sur le dos semble flotter au dessus de la scène. Puis la sculpture humaine se défait, se dilate, les corps de chacun se trouvent repoussés contre les parois de la salle, solitaires, refroidis, dérisoires. C’est la fin.

Plus donc que le motif d’artifice, plus que l’architecture des corps nus enlacés, c’est la chorégraphie de construction et de déconstruction qui captive ici, c’est l’algorithme métronomique présidant à ce ballet de sous-ensembles et de fragments qu’on tente de percer tout au long.

Photos de la performance par l’auteur.