L’humanité

Ce mot est étonnant. L’humanité désigne à la fois une réalité et une vertu, une somme d’individus et une exigence à leur égard. En disant par exemple que c’est un devoir de traiter un prisonnier de guerre avec humanité, nous posons l’humanité comme une conduite à tenir et signifions que l’essentiel n’est pas de naître homme, mais d’agir et de penser humainement.

L’usage de la langue nous apprend donc que l’humanité est une tâche à accomplir, une unité à réaliser, et non un fait à constater. C’est pourquoi les définitions biologiques de l’espèce humaine comme ayant de fait tels et tels traits caractéristiques ne permettent pas de comprendre ce que signifient un travail inhumain ou à l’inverse un geste d’humanité.

Non moins étonnant, au pluriel le mot désigne l’étude de la littérature de l’antiquité grecque et latine. Faire ses humanités, c’est lire Homère, Hérodote ou César. Comme si la lecture des anciens rendait plus humain, ou plutôt comme si l’humanité s’apprenait à la manière d’une langue autre que notre langue maternelle.

N’est-ce pas le cas ? Il n’est pas si naturel de reconnaître un semblable quand son visage, ses croyances, ses mœurs diffèrent largement des nôtres. Ce sont les différences qui sautent aux yeux, et souvent les blessent, suscitant haine ou méfiance. Rien n’est mieux caché que notre commune humanité, qui ne consiste justement en aucun trait observable.

Mais une belle œuvre ancienne, issue d’une époque dont les croyances et les usages ne ressemblent pas aux nôtres, est un moyen privilégié pour éprouver ce qui nous est commun sous le vernis contingent de l’histoire. Telles la vaillance d’Ulysse, la colère d’Achille, la détresse d’Andromaque. S’y reconnaître, c’est éduquer l’humanité en soi.