Pour son premier roman, Marie-Gabrielle Duc propose une farandole surréelle bourrée d’humour, décalée et sociale – une fable bien d’aujourd’hui. Soit Kowalski, divorcé taciturne qui vit dans un appartement uniformément blanc, doté d’un fils lointain qui a rompu tout lien avec lui. Son unique passion consiste à recopier indéfiniment, à la main s’il vous plaît, « La Recherche » de Marcel Proust – moderne Pénélope tissant et détissant son ouvrage pour maintenir ouvert le temps éternel du retour toujours possible. Sauf que là, pas d'Ithaque. Nous sommes à la veille de Noël. De permanence dans un hangar de Garonor, un de ces non lieux improbables et sans forme qui semblent n’avoir été conçus par l’esprit humain que pour s’égarer un peu plus, notre homme est soudain intrigué par la présence incongrue d’une remorque rouge.
« Camion rouge », c’est le premier jouet qui vient à l’esprit des jeunes garçons quand on les interroge. Une sorte de monde en soi, clos sur lui-même, qui contiendrait tous les mondes. S’y surajoute ici l’aspect d’une boîte de Pandore, posée là comme l’ovni définitif des solitudes, des migrations en panne.
Et voilà que finissent par en sortir sept enfants d’environ huit ans, sept, comme les notes de la gamme. Sept mutants muets et agités, comme tombés d’une autre planète, qui caracolent et cabriolent. Des clandestins, de ces autres absolus perdus dans l’autisme indéchiffrable de leurs différences.
En reconstituant leur histoire, en les apprivoisant peu à peu, Kowalski va aussi apprivoiser sa propre errance dans le temps et l’espace, son inexorable éloignement au sein de sa propre vie. Il va peu à peu reconstituer le langage nécessaire pour combler la distance, « refaire signe » à sa femme.
Des mots rouges et mobiles pour redire le lien. « La Remorque rouge » est un beau récit de la distance qui s’incruste entre les êtres. Les exhume du blanc impersonnel où les contraint l’usure du quotidien, ce blanc du temps qui bouffe tout et dont on ne sort qu’en accumulant des nombres, des notes, des mots et des couleurs. Oui, l’art endigue la violence du temps, recrée des proximités et des attachements.
C’est là une des belles leçons que transporte « La Remorque rouge » de
Marie-Gabrielle Duc. Un conte philosophique qui passe les frontières, à la barbe des douanes et de tous les apôtres tordus de "l'identité nationale".
La Remorque Rouge, par Marie-Gabrielle Duc (Albin-Michel)