Il y a peu de temps Bartleby nous parlait d'un étrange petit livre consacré à la schizophrénie : W.O.M.B. Evidemment, ce titre a un double sens et il est l'oeuvre de deux écrivains, Thomas Becker et Sébastien WojeWodka, chacun étant l'auteur d'un texte. C'est bien évidemment ensemble que ces deux individus ont bien voulu répondre à nos questions.
Que ferez-vous lorsque plus personne ne lira de livres ?
SW : Je tatouerai ou scarifierai sur mon corps sacrificiel des passages emblématiques de ma petite bibliothèque personnelle, ceci en signe de sédition ; sans doute finirais-je par m'immoler dans un autodafé purificateur ; ou bien peut-être écrirais-je des scripts pour le cinématographe.
TB : Je mêlerai mes cendres à celles des livres.
Le premier souvenir (ou la première émotion) littéraire ?
SW : Emotion d'une plénitude esthétique incomparable, celle du texte complet : la lecture à 8 ou 9 ans de L'Illiade et de L'Odyssée d'Homère, d'ailleurs déclencheurs d'une durable obsession pour la mythologie grecque. Quelques années plus tard, Tupik, fabuleuse nouvelle du Coq de bruyère de Michel Tournier : je n'en dis rien, pour ceux qui voudraient éventuellement la découvrir.
TB : Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier, lu pour le collège, en classe de 6ème je crois, ou de 5ème, m'a durablement marqué, sans doute parce que c'était le premier roman que je lisais où le corps avait une telle importance. L'expérience de la durée, de la souffrance, tout passait par le corps de Robinson.
Que lisez-vous en ce moment ?
SW : Ada de Vladimir Nabokov ; également en cours Ulysse de James Joyce, ainsi que Les Frères Karamazov de Dostoïevski.
TB : L'Arc-en-ciel de la gravité de Thomas Pynchon, des poèmes et des textes en prose de Stéphane Mallarmé, des ouvrages sur la schizophrénie et d'autres sur la télépathie.
Suggérez-moi la lecture d'un livre dont je n'ai probablement jamais entendu parler ?
SW : Nabokov ou la cruauté du désir, remarquable essai de Maurice Couturier, responsable de la nouvelle traduction de Lolita et en l'occurrence, audacieux commentateur : il aborde l'Oeuvre nabokovien sous les auspices freudo-lacaniens, alors que l'auteur de La Méprise avait toujours fustigé les écrits du « Charlatan de Vienne ».
TB : Jamais entendu parler, je ne saurais le dire. Mais si vous ne traînez pas sur les sites spécialisés, il y a de fortes chances pour que vous n'ayez pas eu connaissance de Yama Loka Terminus, excellent recueil de nouvelles de Jacques Mucchielli et Léo Henry, chez L'Altiplano. Un état sur les bords de la Mer Noire, la Mikronie ; une ville, Yirminadingrad ; un univers post-exotique, volodinien ; un style très maîtrisé, quoique géométriquement variable ; des textes qui oscillent entre le fantastique pur et les labyrinthes schizophréniques.
Le livre que vous avez lu et que vous auriez aimé écrire ?
SW : Les Démons de Dostoïevski ou un Nabokov, probablement Bend Sinister (Brisure à Senestre), mon préféré jusqu'ici.
TB : Sans hésiter : Ada ou l'ardeur de Nabokov.
Quel est le plus mauvais livre que vous ayez lu ?
SW :Je ne ressens pas le besoin de me poser en diffamateur. Je préfère me faire laudateur de ce ou ceux que j'aime. D'autant que les genres les plus conspués (aussi bien l'horreur, la pornographie que le roman sentimental) présentent parfois jusque dans la nullité la plus patente une affriolante candeur, voire d'inattendus éclats de poésie. M'insupportent simplement les abrutis et autres philistins brandissant leur inculture comme un étendard.
TB : Nos amis les humains de Bernard Werber. Il me semble avoir pleuré de rire.
Quel est le livre qui vous semble avoir été le mieux adapté au cinéma ?
SW : L'intérêt d'une adaptation cinématographique, à mon sens, c'est de s'affirmer comme une réécriture (d'un médium à l'autre), ou de démultiplier les potentialités du texte-source. Spider est un honnête roman de Patrick McGrath ; le film de David Cronenberg est extraordinaire : McGrath use avec complaisance du discours à la première personne, sans véritablement le dramatiser, alors que « l'adaptation » est totalement extérioriste, et en même temps la plus introspective de Cronenberg. L'art doit « rendre le dedans par le dehors », dixit Baudelaire : un axiome cinématographique.
TB : Crash ! de J.G. Ballard. À la crudité du roman, à ses fluides corporels et à son odeur de sperme séché, David Cronenberg – dont l'adaptation de Spider est également remarquable – a substitué l'univers glamour et glacé de la publicité. C'est l'un des seuls exemples que je connaisse, d'un grand livre devenu un grand film.
Quelle est votre première phrase préférée ?
SW : « Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu'il n'apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d'esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l'eau le sucre. » On aura reconnu sans peine le début du premier des Chants de Maldoror, de Ducasse / Lautréamont.
TB : Un incipit, plutôt. « Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-li-ta : le bout de la langue fait trois petits bonds le long du palais pour venir, à trois, cogner contre les dents. Lo. Li. Ta.
Elle était Lo le matin, Lo tout court, un mètre quarante-huit en chaussettes, debout sur un seul pied. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l'école. Elle était Dolorès sur le pointillé des formulaires. Mais dans mes bras, c'était toujours Lolita. »
Écrivez-vous à la machine, avec un ordinateur ou à la main ?
SW : Ces derniers temps, j'écris à la main et transcris via traitement de texte.
TB : Mes mains frappent les touches d'une machine appelée ordinateur.
Écrivez-vous dans le silence ou en musique ?
SW : Le silence ! Un luxe de nos jours inabordable...
TB : Silence.
Qui est votre premier lecteur ?
SW : Olivier Noël alias Thomas Becker aka Le Transhumain.
TB : Ma compagne.
Quelle est votre passion cachée ?
SW : La taxidermie ; m'habiller comme ma mère.
TB : Jeanne d'Arc.
Qu'est-ce que vous n'avez jamais osé faire et que vous aimeriez faire ?
SW : Tout oublier et partir vivre avec mes bouquins au sein de la campagne la plus reculée ; merci de votre attention.
TB : Faire lire mes alexandrins.