Combien d'Européens ont voulu écrire leur roman américain, tourner leur film américain ou enregistrer leur album américain ? Autant qu'il y a de tentatives américaines d'écrire le grand roman américain ? Peut-être, sans doute. Juan Francisco Ferré (s'il est inconnu des librairies francophones, il l'est peut-être moins des lecteurs fidèles du Fric-frac Club : nous avions publié il y a quelques temps
un de ses articles et évoqué en détail son roman précédent,
La fiesta del asno) fournit avec
Providence un livre qui ne peut qu'être décrit comme tentative européenne d'écrire un roman américain, voire même d'essai espagnol au Grand Roman Américain [1]. Contrairement au rugby, en littérature il est toujours difficile de dire si l'essai a vraiment été transformé. Ce qui est certain, c'est que
Providence est capable d'entraîner adhésion et rejet à mesure égale. En cause, une tactique littéraire excessive et monstrueuse pour rendre compte d'un monde excessif et monstrueux (ce dernier mot n'étant pas à prendre uniquement ou nécessairement dans un sens Ndiayien). En ce qui me concerne, tout ça est réjouissant.
(Illustration : Agustín Fernández Mallo & Aina Lorente)
En quelques mots, l'histoire. Prenons un cinéaste espagnol nommé Álex Franco (patronyme du caudillo, mais aussi et sans doute surtout de l'érotomane Jess Franco), qui vient de réaliser un premier long métrage reçu à
Cannes sous les sifflets et huées plus que sous les applaudissements, et larguons-le dans le monde académique US. Qu'arrive-t-il ? Mais d'abord : comment y arrive-t-il ? Dans son hôtel de la Croisette l'attendait une très sexuelle sexagénaire qui lui propose après double partie de jambes en l'air un script écrit par deux documentalistes russes dont le titre serait Providence ou Providenz ou Providens ou... Charge à lui de le réécrire et de réaliser le film, et sa gloire sera faite. Delphine, c'est le nom de la dame, fait fonctionner ses contacts pour lui obtenir une place d'enseignant en visite à l'université de Providence, US, où il n'aura qu'un jour de classe par semaine, ce qui lui permettra de se consacrer au projet. On pourrait aussi situer le début lorsqu'en une nuit arrosée à Marrakech, Álex conclut un pacte faustien avec un certain Al Hazred. Et puis Providence est peut-être un jeu vidéo plus qu'un film. Et puis… Et puis on n'en est qu'à la page 137 quand on a déjà tout ça derrière nous et qu'Álex débarque vraiment aux Etats-Unis. Que lui arrive-t-il ensuite ? Oh, il ne faudrait guère plus de 430 pages pour vous le raconter. Très vite et très brièvement : il découvre un monde académique au fonctionnement étrange, des étudiants hostiles, des femmes toujours partantes pour un peu de détente. Et puis un correspondant anonyme (un certain Jack Daniels, pas le
bourbon mais probablement un pseudo) le met sur la piste certainement délirante d'un Providence caché, champ de bataille entre deux sociétés secrètes. Et il croit rencontrer l'amour, se ballade dans des tunnels dissimulés par la tombe de Lovecraft, se fait tabasser à plusieurs reprises, est utilisé par des forces qu'il ne comprend pas et qui le considèrent comme l'élément tiers chargé de briser l'équilibre entre les deux forces en présence, rencontre un mec qui se fait appeler Darth le déconstructeur et peut-être, peut-être, peut-être termine annihilé physiquement, son cerveau récupéré dans le système informatique du cyborg. Ou un truc du genre. Oui, oui, oui.
C'est beaucoup. Et encore, là, on n'a rien dit.
Que reste-t-il au sortir de ce délire ? (Oui, délire est le mot : il s'agit de montrer que le rêve américain est, en fait, ni rêve ni cauchemar mais délire, le délire américain. Ou mondial.) Un livre dense, touffu mais qui se dévore, amusant, hilarant, choquant. Il reste surtout une analyse assez féroce et brillante de la psyché américaine à travers ses productions culturelles, le cinéma en tête.
Ferré semble en effet partir du principe qu'on ne pourra voir ce qui se trouve sous la surface des convenances, sous les belles façades présentées qu'en creusant un peu dans les mythes et les grands récits présents dans la culture d'un pays.
Dans une scène clé de la première partie de
Providence, un philosophe allemand dit :
Si la vie est ressemble à un film, qu'est-ce qu'il reste aux films ? Ressembler à un jeu vidéo ?
Mais la question qui émerge de cette réflexion est la suivante, bien plus capitale :
Et à la vie ? Qu'est-ce qu'il reste à la vie ?
C'est donc cette dynamique qui est en jeu : voir la vie à travers le cinéma et le cinéma à travers la vie.
Providence, singulièrement à partir de la seconde partie, se présente de fait comme un roman qui prendrait la forme d'une encyclopédie alternative du cinéma (et non du cinéma alternatif). Le récit ne se fait pas via des entrées, mais il multiplie les clins d'yeux et les références au septième art.
Providence, le titre, c'est déjà du cinéma : le premier film américain d'Alain Resnais, histoire complexe où l'imaginaire et le rêve entrent en concurrence avec le réel.
Providence, ensuite, une fois Álex arrivé à Providence, la ville, est un journal qu'il tient et dans lequel, par déformation personnelle, il ne peut s'empêcher de relire son quotidien à travers une loupe cinématique qui lui fait voir dans sa vie des traces le renvoyant à d'autres réalisateurs, de
Larry Clark à
Leni Riefenstahl en passant par
John Waters. Petit à petit, ce journal laisse place à des prises, signe évident du glissement d'un réel littéraire vers un réel de pellicule. Ferré nous emmène du plus trivial au plus significatif. Un des étudiants de Franco s'appelle Zack Snyder, soit, à une lettre près, le nom d'un réalisateur dont le deuxième long-métrage a été vu comme un délire fasciste ou un fantasme homo-érotique. Ici, l'étudiant au nom si proche se fait sodomiser par Andy Ross, nemesis d'Álex, surnommé le Grand (requin) Blanc en référence autant à une particularité anatomique qu'au bled où Franco l'a rencontré pour la première fois – là où a eu lieu le tournage
Jaws. Ce film, véritable chemin de croix d'un Spielberg en voie d'obtenir le premier grand succès de sa carrière est, si ce n'est son préféré, au moins celui qui obsède le plus Álex Franco. Il s'en livre à l'exégète permanent, ce qui le met en difficulté auprès de ces étudiants (
Jaws, c'est tout ce qu'ils détestent) aussi bien qu'auprès d'Eva, son grand amour. Par ailleurs, toutes les relations humaines, toutes les grandes questions américaines (le self-made man, les problèmes interraciaux, le capitalisme corporatiste, etc) semblent se dérouler sous nos yeux dans les mêmes modalités que si elles se montraient sur un grand écran blanc. Le cinéma hollywoodien est l'image que les Etats-Unis donnent d'eux-mêmes, c'est bien sûr un miroir déformé que Ferré redéforme une fois de plus pour faire voir (à qui saura lire, cette fois-ci, plus qu'à qui saura voir) ce qu'il y a derrière. Ferré est également conscient d'une autre machine à rêves, ou plus exactement à fantasme, située elle-aussi du côté de Los Angeles : Porn Valley. Son nom ne demande, je crois, aucune explication. Dans
Providence, les aventures sexuelles d'Álex Franco sont très nombreuses (un peu comme si son pacte avec Al Hazred n'impliquait que le succès dans ce domaine précis vu que tout le reste semble se dérober sous ses pieds) et se déroulent toujours comme si elles avaient été écrites pour une production pornographique respectant tous les canons du genre. Blondes pulpeuses, noirs bien membrés, femmes mûres mais rasées, adolescentes soi-disant innocentes, noires lascives, femmes en uniformes… Franco n'est pas dans un fantasme permanent, il est dans un monde où la vie est devenue semblable au fantasme. Cette orgie sexuelle continue n'est pas gratuite : le sexe a une importance émotionnelle et économique considérable et nos représentations, notre commercialisation de ces pratiques en dit long sur les rapports humains, particulièrement aux Etats-Unis bien évidemment, mais pas seulement (et le portrait qui est fait de ce pays dans ces près de 600 pages semble être un long « mais pas seulement » qu'il ne faudrait pas ignorer).
On pourrait continuer encore longtemps sur le cinéma, il est temps de passer à autre chose.
Providence, l'illustration de couverture, c'est déjà de la littérature : une photo de
H.P. Lovecraft retouchée par
Agustín Fernández Mallo et Aina Lorente. Comme Fernández Mallo, Ferré s'inscrit dans la mouvance
mutante mais ses références sont très américaines. C'est encore plus net pour
Providence. Lovecraft est, peut-être, le citoyen le plus célèbre de Providence et il est logiquement omniprésent dans ces pages : il signe, par exemple, l'épigraphe et les noms des sections du roman lui sont redevables. Al Hazred, le tentateur de Franco à Marrakech, est à la fois un pseudonyme et une création de Lovecraft, celui à qui il fait écrire le Nécronomicon. Le ton est donné… L'écrivain providentiel n'est pas qu'une influence : il est aussi un personnage central de deux récits dans le récit. Dans les e-mails conspirationnistes de Jack Daniels se dessine l'affrontement secret entre l'Eglise écarlate (présentée comme bienveillante mais…) et la Confrérie dont l'enjeu est le contrôle de Providence. Cette Confrérie, fondée initialement par des esclavagistes de la région, a compté Lovecraft parmi ses membres les plus radicaux. Ce qui nous mène au second récit : Lovecraft transformé en serial-killer. De nos jours, la Confrérie est une corporation cthulhuienne qui vise à contrôler pulsions et désirs pour son plus grand bénéfice. Lovecraft voulait montrer l'horreur qui se cache derrière la réalité. En l'utilisant dans
Providence, Ferré fait un peu pareil : il montre ce qu'il y a sous les néons et les bright lights de la vie urbaine américaine (et, par extension, mondiale). On peut d'ailleurs dire que ce qui traverse
Providence, ce sont les tensions, les conflits et les paradoxes nés d'un pays où se mêlent morale 19eme et capitalisme corporatiste hyper-technologisé. Reliquat puritain versus futur posthumain. Cet affrontement ressort de toute évidence dans les productions culturelles qui servent de motifs et de matière à ce roman.
Tout comme pour le cinéma, il y a des références plus ou moins significatives : on citera par exemple l'analyse d'un roman à travers des citations de Mark Lipovetsky (spécialiste du postmodernisme russe) ou le nom de famille d'Eva (Dahlgren, chanteuse suédois – et la musique a aussi beaucoup d'importance ici – mais surtout roman de Samuel Delany et page web de Steven Shaviro). L'utilisation de la conspiration et de la paranoïa, d'autant plus dans un récit aussi codé où l'on nous donne puis nous retire des indices d'une solution qui n'arrive jamais, place
Providence sous le signe de
Pynchon, grande référence de Ferré, mais le côté roman de campus nous mène sur les traces d'un autre grand postmoderniste américain (pas Tom Wolfe, malgré le côté hypersexué, non, non, non) :
John Barth. Les petits chanceux se rappelleront en effet le campus de son
Giles Goat-boy qui représentait le monde des années '60 et ses manigances secrètes pour le contrôle global. Il s'agissait d'un livre excessif et monstrueux et on aurait presqu'envie de dire que
Providence gomme la monstruosité et les excès des années '60 pour les remplacer par la monstruosité et les excès du 21eme siècle. L'heure n'est plus à la libération sexuelle, mais bien à la sexualité domestiquée et commercialisée, donc contrôlée. La liberté n'est plus qu'une illusion. Le cadre politique n'est plus celui de la lutte entre le bien et le mal, c'est celui de l'effort incessant, insensé et infructueux de reconstruire des figures du mal pour se présenter comme le bien.
Mais, à mon sens, un auteur, plus que tout autre (mis à part Ferré lui-même, bien sûr) plane au-dessus de
Providence en tant qu'influence ou
esprit de famille :
Bret Easton Ellis, le grand sous-estimé des lettres américaine [2]. Relire
The Rules of Attraction, c'est voir que les années 80 mettaient déjà en route ce que Ferré a détecté sur les campus américains des noughties et qu'il a ensuite mis dans son roman. La structure de réalité qui se transforme progressivement en rêve ou cauchemar ou, surtout, en délire est celle de
Glamorama et de
Providence (même si dans ce dernier le délire arrive presque immédiatement et que, s'il y a un passage progressif d'un état à un autre, c'est celui du délire au délire
complet). Le ton, celui d'une satire féroce à la dimension morale rappelle aussi Ellis. La grande différence est que la base philosophique et théorique de Ferré est bien plus solide, bien plus présente que chez Ellis, mais aussi que leurs références littéraires varient légèrement – il faut remplacer, par exemple, Didion par
Coover ou Pynchon – même si tous deux partagent une fascination pour l'œuvre de
DeLillo. Autre différence, de degré celle-là : Ellis a une écriture et un imaginaire cinématographique, qui se prêtent au film, sans que le cinéma soit sa grande référence, alors que si l'écriture de Ferré est ici plus accessible que dans
La fiesta del asno et que sa machinerie est cinéphile, influencée par le septième art plus que par toute autre chose, cette machinerie ne peut sans doute être, au final, que littéraire.
Références et influences cinéphiles et littéraires, tout ça est très bien en soi, mais la force de
Providence réside dans l'alliage entre ces éléments dans un cadre pertinent au récit. J'évoquais ci-dessus le glissement du réel vers le délire dans
Glamorama. Peut-être que le vrai point de comparaison réside en fait dans l'adaptation de
American psycho par Mary Harron avec
Christian Bale dans le rôle de Patrick Bateman [3]. Roman transformé en film là, films transformés en roman ici. Et
Providence n'est donc jamais aussi bon que dans les scènes où toutes les influences de Ferré se rejoignent. Il faut revenir, pour rendre tout ça un poil plus clair, sur le grand moment, ce qui aurait dû être, dans un bon film hollywoodien, le climax de
Providence. Il y a à Providence une tour énorme, siège de la corporation qui sert de façade à la Confrérie. Álex la découvre un soir après une inquiétante promenade à travers des tunnels qui s'ouvrent dans la tombe de Lovecraft et débouchent en face de cette tour. Une fois de plus, Lovecraft ouvre le chemin vers l'horrible, montre le sous-jacent, ce que cache la propagande culturo-médiatique. Quelques temps plus tard, poussé par l'Eglise écarlate, Álex s'introduit là-bas à l'occasion d'une fête costumée. Je vous passe les détails (il y déjà eu assez de spoilers potentiels comme ça), sachez juste que son déguisement est celui d'un pompier et que la tour prend feu. Bien. Álex s'en sort, retrouve Eva dehors, la porte dans ses bras. La foule se rassemble, félicite le pompier (qui ne peut être qu'un héros) et assiste, dans une sorte d'étrange extase, au bûcher sacrificiel (tout en sachant que rien ne changera vraiment). Un homme se jette dans le vide. Encore mieux. La tour, de par sa menaçante présence et le pouvoir néfaste de qui l'occupe rappelle l'œil du Mordor ; les flammes, le costume de pompier, la blonde dans les bras paraissent sortis d'un de ses films catastrophes hollywoodien avec
William Baldwin ; les comparaisons avec le 09/11 sont évidentes (héros en uniformes inclus) et, enfin, l'attitude de la foule trouve un clair écho littéraire : la fin de
The Day of the Locust de
Nathanael West (classique hollywoodien, classique sur les liens entre vie et cinéma). Voilà comment, en quelques pages, faire entrer en collision l'imaginaire littéraire et cinématographique d'une nation avec ses peurs et ses symboles dans une scène qui fait sens dans le cadre du roman. Et l'indéniable polysémie de
Providence rend inévitable les lectures différentes, selon le background culturo-spectaculaire de chaque lecteur.
Je ne résiste pas non plus à livrer une des conclusions possibles de cette histoire : Álex se fait tabasser par neuf gars portant un masque de président (ceux qui sont affublés du faciès de présidents réputés progressistes ont aussi un casque SS, pour qu'on comprenne bien qu'ils sont méchants – dans le cinéma hollywoodien, il faut tout expliquer). La petite troupe est dirigée par un mec en habit de Dark Vador, qui dit s'appeler Darth le déconstructeur. On pourra dire que le tabassage par des présidents fait penser au sort que l'Oncle Sam réservait à Nixon dans
Public burning de Coover (autre référence incontournable de Ferré et de
Providence), on verra surtout dans la figure de Darth le déconstructeur une sorte de figure tutélaire, alliage des mythes et légendes de la culture populaire et des grands noms de ce qu'on a appelé la Théorie. Derrida pop.
Mais au bout du compte, Ferré ne ressemble qu'à Ferré. On pointera une scène, une sorte d'interlude qu'on jurerait sortie de
La fiesta del asno : l'arrivée d'Álex aux Etats-Unis. Un problème de passeport l'emmène vers une salle d'interrogatoire. La session oscille entre film d'horreur et jeu vidéo, il lui faudra arriver à de drôles d'extrêmes pour s'en sortir. Ce n'est pas gratuit : c'est une mise en scène qui pousse à l'absurde la question qui attend tous voyageurs aux Etats-Unis : « êtes-vous impliqués dans des activités terroristes ? » Répondre à l'absurde par l'absurde, à l'excès par l'excès, au monstrueux par le monstrueux.
Toutes ces influences, toutes ces références forment un roman qu'on pourrait définir en utilisant les mots qui se trouvent page 528 :
Sa logique est celle du plagiat mené à ses conséquences ultimes, bien sûr, c'est pour ça que son efficacité est encore plus infectieuse que celle du programme d'origine.
Voilà qui ne veut pas dire qu'on se trouve face à une œuvre de « digestion » de références. Les grands postmodernes avaient parlé d'épuisement et cherché dans les entrailles des mythes et des classiques de quoi renouveler la littérature. Quarante ans plus tard, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et, sans abandonner ses tactiques, il s'agit sans doute de les radicaliser. Pas dans la complexité de l'écriture ni même de la structure, mais bien dans l'exploitation illimitée de toutes les ressources culturelles ou technologiques à sa disposition, la réappropriation de toute œuvre jugée nécessaire à montrer les entrailles de ce qui n'est déjà plus un cadavre humain, de ce qui est devenu le reste hyper-technicisé et consumériste de notre civilisation. Il reste sans doute à définir cette pratique, mais c'est sans aucun doute une œuvre créative où l'essentiel réside dans ce qui est fait du matériau emprunté, de son syncrétisme avec la vision propre et personnelle de l'auteur. Elle est certainement mutante, certainement excessive, certainement monstrueuse, certainement délirante mais elle correspond au délire d'un monde excessif, monstrueux et mutant. C'est à cette aventure que nous convie Juan Francisco Ferré et si
Providence rencontrera certainement des adversaires aussi bien chez le lecteur de romans traditionnels que chez celui plus porté sur l'expérimentation, ce ne sera que le signe que le scalpel de l'auteur a touché le nerf qu'il fallait. En ce soir de novembre 2009, je me contenterai de dire que ça faisait longtemps que je n'avais pas lu un livre de cette ampleur. Et je m'excuserai enfin d'avoir fait si long sans atteindre le cœur du roman. A vous de le découvrir.
[1] Le fait qu'il s'agit d'un roman américain écrit par un Européen est d'ailleurs assez important pour qu'un dialogue entre le personnage principal, Espagnol, et sa copine du moment, Américaine, vienne nous le rappeler, comme s'il s'agissait de nous faire savoir que cette vision des Etats-Unis, pour puissante qu'elle est, est UNE vision parmi d'autres et que malgré sa pertinence certains biais d'observation sont à attendre vu l'identité de celui qui écrit.
[2] Quand je dis qu'Ellis est sous-estimé, on me regarde toujours étrangement. Et pourtant. Aux Etats-Unis, il connait bien sûr un grand succès commercial mais la critique sérieuse, incapable de voir plus loin que les excès du Brat Pack, ne lui accorde que très peu d'attention. En France, on lit parfois qu'il est le plus grand écrivain américain, ce qui est parfaitement ridicule mais compréhensible dans un cadre littéraire qui connait (ou connaissait) finalement assez peu les Foster Wallace, Vollmann, Pynchon et autres McCarthy. Mais méconnaissance de ce qui compte vraiment dans la littérature US mise à part, ce sont quand même les français qui sont les plus proches de la vérité : Ellis est un auteur immense, ce qu'un style direct et simple nous empêche parfois de voir. Seul un grand écrivain peut montrer la maitrise formelle de The Rules of Attraction, écrire le grand roman moral des années 90 (American Pyscho), renverser les codes de l'autofiction (Lunar Park) ou commettre une folie de l'envergure de Glamorama.
[3] J'ai rarement vu un aussi bon film recevoir d'aussi mauvaises critiques. Peut-être parce que rien dans le film n'indique le glissement réel / délire ou hallucination et que certains spectateurs se sont bloqués devant l'absurdité de la violence déclenchée. C'est pourtant l'un des paris et des tours de force de Harron.