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Peut-être avez vous remarqué sa présence dans la petite vidéo que j'ai commise réunissant les différentes choses vues sur les murs de NYC en octobre dernier : un petit garçon, droit comme un i, l'air revêche... une grenade à la main. En tout cas moi sa présence dans les rues de la grosse pomme m'a troublé : d'abord parce que ce môme mécontent squatte à peu de chose près tous les quartiers de la ville, ensuite parce que j'avais la désagréable impression de l'avoir déjà rencontré, ailleurs, dans un tout autre contexte.
Ce n'est qu'à mon retour, de retour dans mon contexte justement, que je me suis souvenu d'où je le connaissais ou plutôt où je l'avais déjà vu. En l'occurrence sur une photo de Diane Arbus, photographie noire et blanc hyper-connue, limite à se retrouver en couverture des agendas et autres calendriers qui se vendent si bien en cette période de l'année dans ce que l'on appelle toujours - j'ignore pourquoi - les librairies.
Originaire de New York, Diane Arbus (1923-1971) est notamment connue pour ses portraits de marginaux et autres "freaks". C'est dans les allées de Central Park qu'en 1962 elle décide de faire celui du petit Colin, le fils du joueur de tennis Sidney Wood. Celui-ci, un jouet en forme de grenade à la main, se prête un temps de bonne grâce au jeu de la pose (toute une série de clichés, aujourd'hui connus, en témoignent). La séance s'éternise cependant et Colin finit par s'énerver : exaspéré il intime l'ordre de se dépêcher à la photographe. C'est dans cette posture tendue au possible, les yeux exorbités et une bretelle pendante, qu'il est finalement immortalisé par Diane Arbus.
C'est donc cette photographie intitulée "Child with toy hand grenade in Central Park" que JC2 (de son vrai nom Jef Campion) se plaît à reproduire, le plus souvent presque à l'identique (tout juste se contente-t-il de "coloriser" le personnage façon sépia ou d'y ajouter des touches de rouge sang) et parfois accompagnée de la mention "Army of one", sous forme d'affiches découpées ou de stickers et à accoler un peu partout à New York mais aussi à Seattle comme dans d'autres villes des Etats-Unis.
Loin d'être le seul street artiste a s'être directement inspiré de cette image de Diane Arbus, JC2 n'est en réalité qu'un activiste parmi de nombreux autres à s'être prêté ainsi au jeu de la reprise avec ou sans détournement.
Dans le domaine du collage qui est le sien on trouve en effet d'autres versions de l'enfant à la grenade. Si, affublé d'ailes et le squelette apparent, il s'éloigne sensiblement de la photo originale, on le reconnaît par contre aisément quand, entièrement redessiné par Frost, il se contente de tenir à la main une inoffensive (?) manette de jeu vidéo.
Toujours sous la forme de collage il apparaît également tenant un ghettoblaster à la main dans un détournement anonyme dont j'ignore s'il est basé directement sur l'image originale de Diane Arbus ou s'il s'agit en réalité d'ajouts opérés sur un des collages de JC2.
La technique du pochoir a elle aussi été utilisée à de nombreuses reprises pour reproduire le portrait de Colin par Arbus. Parfois le stencil se veut fidèle à la photographie originale comme c'est le cas avec ces deux pochoirs anonymes - le premier en bichromie sur un mur de Portland, le second à Oxford - au niveau de réussite assez inégale.
Bien que se voulant lui aussi fidèle à son modèle et possédant une efficace technique de découpe, le pochoiriste (LSB - Taipei) ne commet pas moins l'erreur de peindre l'image du petit Colin complètement inversée (grenade à la main gauche et bretelle tombante à droite).
D'autres fois enfin les pochoiristes prennent la liberté d'apporter des modifications au portrait original. C'est le cas de Twat (Londres) qui semble considérer que Colin n'est pas assez menaçant et l'arme d'un flingue supplémentaire.
C'est également celui de Fake qui, commettant lui aussi l'erreur de travailler sur l'image inversée, ajoute de manière assez énigmatique une hache dans la main libre de Colin et l'affuble en sus d'oreilles de Mickey.
Les street artistes ne sont cependant pas les seuls, comme on peut s'en douter, à s'être approprié cette image devenue culte. On notera d'ailleurs que leurs congénères "de salon" se montrent finalement plus libres qu'eux dans les différentes interprétations qu'ils en proposent.
Ainsi le peintre Jiri Anderle, dans le cadre d'une série de toiles à thématique pacifiste, prend le parti de faire perdre à Colin l'ensemble de ses vêtements et de lui faire gagner dans le même temps quelque chose comme une cinquantaine d'années.
C'est quant à lui dans le cadre d'une série de dessins consacrés aux boy-scouts ("Pact for adventure"), que l'illustrateur Daryl Vocat s'inspire du portrait pris par Diane Arbus.
Ricardo Cavolo, illustrateur au style coloré, enfantin et chaotique, semble quant à lui avoir été particulièrement sensible au regard de Colin Wood.
Assez étrangement c'est dans le domaine de la photographie que l'on trouve le moins de reprises du "Child with toy hand grenade". Cependant, à l'occasion d'une exposition collective en 2008, Hugh Brown a choisi de rendre hommage au cliché d'Arbus. Devant son objectif le garçon à la grenade se transforme en fille à la tronçonneuse. Et Central Park en Griffith Park...
On s'en doute, comme à chaque fois qu'une image devient culte, les artistes ne sont pas les seuls à s'en emparer et les produits dérivés ne tardent pas à apparaître. La marque de sape Grenade, au nom prédestiné, ne pouvait certes pas rater une telle occasion. Peut-être aurait-elle pu par contre s'abstenir de faire porter à Colin un bonnet de la marque.
Passant sans transition du statut de mannequin de mode à celui de militant politique Colin semble ici armé, du seul fait de l'intitulé de l'affiche, pour lutter contre les médias.
C'est également cet aspect béliqueux de l'enfant à la grenade qui doit être à l'origine de sa popularité dans le milieu punk. Comment sinon expliquer qu'il soit apparu la même année, en 1984, à la fois sur la pochette du EP du groupe hollandais No Pigs et sur celle du premier album du groupe canadien SNFU. Concernant cette dernière on notera que bien que la photographie d'Arbus illustrait à la perfection le titre de l'album - "And no one else wanted to play" - celle-ci a par la suite été remplacée par une image tout à fait différente, sans doute par peur de poursuites judiciaires de la part des ayants droit.
Pour finir on constatera que si le groupe a fini par prendre cette sage décision, les affichistes semblent quant à eux avoir plus de mal à s'y résoudre.
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