Alors que son exposition "Yes I did" chez Delkographik vient de fermer ses portes et que le studio rennais s'apprête à exposer à compter de ce samedi Mist et Flying Fortress réunis, Some Cool Stuff choisit de ne pas être l'esclave d'un "calendrier des manifestations culturelles" nous réduisant à de simples consommateurs d'images et d'arrêter un temps les aiguilles de l'horloge. Samuel François n'a plus d'exposition à promouvoir ? Peu importe, son travail continue à nous interroger et nous d'interroger son travail. A ses côté...
Tu as baptisé ton exposition rennaise "Yes I did". C'est un drôle de titre et sans doute aussi un titre assez drôle, une espèce de réponse pied de nez au "Just do it" de Nike. Peux tu revenir un peu sur ce titre ?
C'est un titre assez drôle mais moins qu'il n'y paraît... Je l'ai choisi pour plusieurs raisons. C'est une réponse parfaite à une question posée lors des vernissages - "C'est toi qui a fait çà ?" -, l'affirmation d'une direction que prend mon travail, avoir fait ce choix et s'y tenir. Choisir de poser des objets les uns sur les autres, décider d'exposer le résultat n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Et il y a bien sur la réponse facile à ce "Just do it !" qui nous accompagne depuis plus de 20 ans, un "Yes i did" teinté d'interrogations sur la suite, sur l'avenir.
Une partie de ton travail est axé sur des détournements ou plutôt des adaptations de symboles appartenant indifféremment à l'univers politique et à celui de la mode par exemple. Est-ce le fruit d'une posture post-moderne de profonde désillusion face aux idéologies politiques ou ce n'est précisément que leur dimension symbolique qui fait les frais de ta démarche ?
Un peu des deux... Ce n'est pas juste un jeu de collage ou de combinaisons d'objets et de logos. Je suis parfaitement conscient du sens de ceux-ci. Mon "Anarchie" est vidé de son sens premier et renvoie à ce que nous sommes peut-être devenus, une société plus soucieuse de sa forme que de son fond. C'est évident que je ne suis pas un artiste engagé mais je suis perméable à ce qui se passe autour de moi. Ce qui se passe en France ne me plaît pas, parfois ça m'arrange d'habiter Berlin même si c'est faire preuve de lâcheté.
Serais-tu d'accord pour qu'on décrive ton travail comme une rencontre organisée entre d'une part des images de type symbolique directement compréhensible et, d'autre part, d'autres types d'images plus complexes, de nature plus réflexive ? Une espèce de rencontre entre l'art conceptuel et l'imagerie plus directe de type marketing ?
Oui je suis assez d'accord avec cette idée. Imagerie de type marketing ou non, je fais les choses de façon très spontanée et ce n'est pas la chose à laquelle je pense lorsque je fais une nouvelle pièce. Si c'est le cas alors je ne m'en rends pas compte. J'ai une formation en école d'art mais mes références n'ont jamais été celles qu'on a essayé de m'inculquer. Alors mes productions sont peut-être le fruit d'une méthode acquise en école et de mes propres références.
Tes interventions en extérieur s'inscrivent-elles aussi pleinement dans cette démarche que je serais quand même tenté de qualifier de conceptuelle. Elles font d'ailleurs complètement sens avec l'autre versant de ton travail, celui que tu exposes en galerie. C'est peu dire qu'on trouve rarement ce type d'exigence dans le street art qui, le plus souvent, se limite à la production d'images, point barre. Quel est ton sentiment à ce sujet ? Et ton avis plus général sur la scène dite "street art" dont, malgré tout, tu viens toi-même ?
Si j'interviens en extérieur c'est pour présenter quelque-chose d'aussi pertinent que ce que je peux faire en galerie. Je ne veux pas perdre mon temps. Les choses sont réfléchies, bien préparées et cohérentes. Mes interventions fonctionnent car elles sont pensées en fonction de l'espace ou du support qui les accueillent. Tu as du remarquer que je n'avais pas vraiment fait de nouvelles interventions en extérieur depuis presque deux ans, si ce n'est représenter ou décliner des pièces existantes. J'ai encore des envies, j'attends, je cherche encore la bonne occasion et les bonnes conditions.
Le "street art", je ne sais pas trop quoi dire à ce sujet. Ca fait longtemps que je n'y pense même plus, je le perçois comme une pollution visuelle au même titre que la street communication. Parfois un bon truc sort du lot mais c'est assez rare... et puis à vrai dire je m'en fous.
A ce sujet, quelle est ta motivation quand tu travailles dans la rue ? Pourquoi telle ou telle intervention dans la rue plutôt qu'en galerie ?
J'interviens en extérieur car ces interventions ne peuvent se faire autrement. La rue c'est la rue, une galerie est une galerie... Deux choses très différentes qui n'ont ni les mêmes contraintes, ni les mêmes enjeux. Mes interventions dans la rue ou l'espace rural viennent compléter une base existante et surprendre un promeneur. Il peut arriver que personne ne voit l'intervention, ce qui n'arrive jamais en galerie. Mes motivations sont simples : mettre en place une proposition sans contrainte de structure ou événement particulier. Parfois c'est la seule fin que je trouve à une recherche, un projet impossible à mettre en place ailleurs et puis... c'est tout.
Je dis dans la rue mais en réalité, comme tu viens de le souligner, lorsque tu travailles en extérieur c'est aussi souvent à la campagne, dans la forêt, etc. Il y a une raison particulière à ce choix que peu partagent avec toi ? D'autre part, quel est ton rapport à la ville qui est quand même censée être aussi bien le lieu que le sujet des arts dits "urbains" ?
La raison est simple je viens d'un village et je suis souvent à la campagne même si depuis quatre ans j'enchaîne les séjours à Berlin. J'ai fait assez peu d'interventions en milieu urbain, la ville nourrit davantage le travail que je présente en galerie. J'aime la ville et en particulier Berlin, peut-être car la structure de celle-ci peut s'apparenter à celle de mon village : présence de la nature sauvage, de friches industrielles... Mon travail grandit grâce à la ville, il change pour aller vers des propositions plus sensibles, plus justes. Maintenant si un projet nécessite une intervention en milieu urbain alors pourquoi pas mais pour le moment je me concentre sur mon travail en atelier et en intérieur.
Le fait d'intervenir également en milieu naturel, est-ce quelque chose à mettre en relation avec l'utilisation que tu fais de matériaux "nobles" - pour l'exposition chez Delkographik surtout le bois, mais tu as également déjà utilisé d'autres matériaux vivants tels que des fruits ou encore des matériaux issus de la sphère animale (des plumes notamment) - et cette manière que tu as de les confronter avec des objets de la vie courante issus de l'industrie tel que le ballon de basket par exemple ?
J'utilise les objets et les matériaux qui m'entourent ou qui attirent mon attention... Naturels ou non. Jamais vivant. La pomme ou les bananes sur "Anarchie" sont de faux fruits. J'aime l'idée de trompe l'oeil ou d'absurde comme cette fausse poutre qui tient sur un ballon de basket tenant lui même sur une flûte à champagne. A Rennes trois sculptures étaient composées en partie de bois mais aussi de vénilia faux marbres, d'un vieux t-shirt, d'une plume ou de magazines... C'est la composition et l'image de la sculpture, une fois les objets associés, qui est importante. Chaque partie de l'oeuvre prenant un relief particulier grâce aux autres éléments la composant.
On perçoit une vraie maîtrise du dessin dans ton travail. C'est sans doute par là que tu as commencé. Pourquoi en être venu à compléter ton dispositif artistique par des installations ou encore de la photographie ?
J'ai commencé par le dessin comme beaucoup d'enfants, puis adolescent le graffiti. La pratique du dessin et de la photographie est quotidienne. Seulement le dessin n'est pas la réponse à tout. Il se trouve qu'on connaît ma série de portraits réalisés aux feutres. Le dessin a été le médium le plus approprié pour ce projet. Aujourd'hui je capte des attitudes ou des silhouettes croisées dans la rue, mes dessins changent. Mon travail était déjà axé sur des installations ou des objets avant même de commencer cette série de dessins. J'utilise le médium qui me semble le plus approprié à ce que je souhaite dire ou faire passer, c'est aussi simple que cela.
Pour finir, j'ai vu que l'exposition "Yes I did" était le fruit d'une collaboration avec Guillaume Antzenberger. Quel est le type de participation possible d'une tierce personne dans l'élaboration d'une exposition personnelle comme celle-ci ? Peux tu également nous en dire plus sur le collectif Inkunstruction auquel tu participes, justement aux côtés de Guillaume Antzenberger ?
En fait nous n'avons pas travaillé et exposé ensemble depuis plus de quatre ans alors que sous le nom de Inkunstruction nous avions collaboré pendant trois années sur divers projets comme des expositions, du design ou la création d'une ligne de t-shirt. Guillaume a un "background" assez proche du mien alors il possède une bonne partie des clefs pour comprendre mon travail. Sur cette exposition la collaboration s'est faite assez facilement, Guillaume a apporté des choses et moi d'autres, nous avons travaillé ensemble sur la série de trois sculptures. Elles sont pensées et construites sur le lieu d'exposition.
J'aime les échanges et les collaborations. C'était déjà comme ça lorsqu'on travaillait en collectif, nous avons fait un certain nombre d'expositions à six mains parfois même à huit... J'y retrouve l'énergie ou le bouillonnement d'un "workshop", il faut juste canaliser et faire le tri dans les idées.
NB : le studio Delkographik annonce la sortie prochaine d'un "objet" signé Samuel François. Le plus grand secret demeure autour de ce projet : de quoi s'agit-il exactement ? Quel est le support choisi ? Quand verra-t-il le jour ? Une chose est certaine, c'est là une annonce qui ne peut qu'attiser la curiosité.