La sangha (la communauté monastique) a été laminée par la répression. Des centaines de bonzes ont été arrêtés, forcés à quitter le froc, interrogés et humiliés par leurs geôliers. «Nous suspectons un usage fréquent de la torture. Les conditions sanitaires dans les centres de détention sont épouvantables. Il y a un manque de soins et de médicaments», indique un enquêteur d’Amnesty international après une mission de deux semaines. Win Shwe, un militant de la Ligue nationale pour la démocratie, le principal parti d’opposition, est mort pendant un interrogatoire le 27 septembre. L’ambassade britannique à Rangoun estime qu’entre 2 000 et 2 500 personnes étaient encore détenues à la fin octobre, parmi lesquelles de nombreux moines.
Prises d’otages. Ces dernières semaines, beaucoup de familles ont retiré leurs enfants qui étudiaient dans des monastères de peur qu’ils soient inquiétés par les autorités birmanes ou impliqués dans une nouvelle vague de révolte. Seules quelques centaines de bonzes résident encore dans le monastère Mahagandhayon, à Mandalay, le plus grand du pays ; il comprend habituellement 1 400 étudiants en religion. Les leaders des manifestations de septembre sont en prison ou sont passés dans la clandestinité. Pour faire pression sur ces fugitifs, la police pratique des prises d’otages : le père d’U Gambira, un des dirigeants de l’Alliance des bonzes de Birmanie, la principale organisation derrière le mouvement de protestation, a été emprisonné ainsi que la mère adoptive de Ashin Kovida, l’initiateur des premières manifestations cet été.
Impardonnable. Mais si le mouvement des jeunes bonzes est en déroute, le sentiment de colère engendré par les violences commises contre les religieux est plus vif que jamais, tant au sein de la communauté monastique que parmi les laïcs. Pour un bouddhiste, tirer sur un bonze est un acte impardonnable. Une tâche que les généraux au pouvoir ne pourront jamais effacer. Traditionnellement, les leaders du pays, de l’époque des rois jusqu’à la dictature actuelle en passant par les chaotiques années de démocratie entre 1948 et 1962, ont toujours cherché à légitimer leur pouvoir par la religion bouddhique. Les violences de septembre se sont traduites par un processus brutal de délégitimation.
Après un séjour en Birmanie fin octobre, l’universitaire américain David Steinberg, un expert du pays, estimait que «le sentiment de haine envers le régime est devenu si profond qu’il pourrait annoncer de nouveaux mouvements de manifestations». Depuis septembre, la junte a toutefois essayé de regagner les faveurs de la sangha en multipliant les donations d’argent, de nourriture et autres cadeaux à des bonzes importants. Mais, selon des témoins, des sacs de riz restent empilés aux portes de certaines pagodes – un signe de défiance des moines qui refusent de se laisser acheter.
Souffrance. Malgré l’absence de leader et d’organisation véritablement structurée, la flamme de la révolte continue et continuera à brûler au sein de la communauté des moines du pays pour une simple raison : les enseignements même de la religion commandent de s’opposer à ce qui est injuste et à ceux qui provoquent la souffrance d’autrui. «Leur responsabilité est d’aider à amoindrir la souffrance des gens. Pour eux, c’est une obligation religieuse», indique Khin Omar, présidente du Réseau pour la démocratie et le développement, une organisation birmane basée en Thaïlande.