Chère cousine, tu m'écris de ta région de froidure, pour me dire que tu penses à ton île. Tu rêves aux premiers letchis, que tu n'écris pas "leetchis", et à nos Noël d'enfants, dans la chaleur de décembre. Tu me dis que tu mets le chauffage au maximum. Que c'est beau, quand même, les lumières de l'hiver dans ta ville de l'autre côté de la mer. Et tu te moques un peu en me demandant si de mon côté, je lance la climatisation pour dormir. Je veux bien t'avouer mon crime, belle et tendre cousine : oui, j'allume la clim pour la nuit, quand Morphée, en sueur, tente de m'appeler. Et je fais de même dans ma voiture, quand je m'aventure dans nos embouteillages saturés de gaz carbonique. Nous ne sommes pas responsables, ici, à la Réunion. Sais-tu que, tandis que M.Vergès se rend à Copenhague pour assister au sommet qui décidera, dit-on, de l'avenir de notre vieux monde malade, 1% seulement de notre électricité provient d'énergie propre ? Tandis que fleurissent sur nos toits les panneaux solaires, que nos élus subventionnent les chauffe-eau nourris par l'ardeur d'Hélios, nos centrales électriques tournent à plein, des centrales thermiques, alimentées en charbon et en bagasse. M.Vergès a proclamé l'indépendance énergétique de la Réunion pour 2025. Beau et noble projet. Mais le tram-train qui lui tient tant à coeur, sais-tu seulement qu'il fonctionnera au charbon ? Oui, comme les locomotives d'antan. Le tram sera électrique, mais l'électricité sera produite par ces mêmes centrales à énergies fossiles. De même que les voitures électriques dont se vante la mairie de la Possession... Quant au réseau de bus en site propre dont rêve M.Virapoullé, pour le simple plaisir de ne pas être d'accord avec son vieil ennemi, il engloutirait du pétrole comme un ogre aime à dévorer des enfants.
Te souviens-tu, ma cousine aimée, de nos ris enfantins, dans cette case tomi de la Saline ? Seul le vent marin rafraîchissait nos nuits, et l'hiver, nous nous faisions couvertures de nos corps innocents. Quelques voitures passaient dans les chemins de sable. Des grosses clims bourdonnaient sur les murs des bâtis blancs des administrations. Nous étions loin de penser, alors, que le chaud et le froid seraient un jour au coeur de la survie du monde.
Pour l'heure, c'est la chaleur de ton île qui te manque. Et moi, dans mes nuits bercées de fraîcheur artificielle, l'absence de ton sourire m'est si cruelle que mes rêves m'emportent auprès de toi. Je t'enverrai des letchis pour Noël. N'attrape pas froid au coeur.
François GILLET