On sait peu de choses de son enfance qui se passe à Quimper et tout au plus peut-on imaginer que le
jeune garçon rêve d’aventures en mer, cette mer si bleue qu’il voit chaque jour.
Mais au XIX° siècle l’enfance ne dure pas longtemps. Son père décide que
son fils sera marin et à 9 ans il effectue son premier voyage en bateau sur un caboteur bordelais qui transporte du vin. Il sera ainsi absent 4 mois.
Son père l’oblige, à son retour, à suivre des cours d’hydrographie et de
navigation ; il espère que son fils pourra un jour intégrer, comme officier, la Bataillon de l’Orient et de la Compagnie des Indes. Mais le jeune Madec n’est guère attiré par ces cours et
rêve de partir loin de sa famille et de vivre sa vie.
Il n’a que 11 ans lorsqu’il fait son deuxième grand voyage à bord de "La
Valeur", un bateau négrier qui transportera des esclaves du Sénégal à St-Domingue.
A 15 ans (nous sommes en 1750), il s’embarque, sans prévenir ses
parents, sur "l’Auguste" pour un long voyage de 6 mois qui le mènera de Lorient à Pondichéry.
René est subjugué par ce qu’il voit à Pondichéry, l’ambiance qui règne
dans ce comptoir français. Il s’habitue facilement à la foule et apprécie la gentillesse des tamouls. Il est impressionné par la demeure de
Dupleix.
Il rentre à Quimper mais n’y restera que 8 mois. Il ne pense qu’à une chose,
retourner sur la côte de Coromandel.
En 1752, il s’embarque sur « Le Lys » et retrouve Pondichéry.
Il s’engage comme cadet dans les troupes de Dupleix. Nous avions évoqué la situation des comptoirs français à cette époque dans l’article consacré à Dupleix ; nous sommes juste avant la
révocation de Dupleix (1754) et Dupleix multiplie coups de force et intrigues pour prendre le pas sur les anglais.
René Madec découvre la guerre ; il participera au siège de Madras
(Chennai) et sera fait prisonnier. Plutôt que d’espérer une évasion incertaine, Madec accepte de s’enrôler dans les troupes anglaises et est envoyé
au nord-est de l’Inde. Mais quelques mois plus tard, il « file à l’anglaise » et s’engage comme mercenaire à la solde du prince Shuja, d’origine persane. Madec découvre la ville sainte
de Bénarès.
Très marqué par les traditions et coutumes locales, il porte la tenue
traditionnelle composée d'une longue tunique, d'un pantalon bouffant et d'un turban. Au contact des Indiens il apprend leur langue.
A 28 ans, Madec devient un véritable chef de guerre. Il constitue une
armée de 1.500 combattants dont une centaine d'Européens. La fortune commence à sourire au jeune Breton qui, quelques mois plus tard, se marie avec Marie-Anne Barbette, la fille d'un des
conseillers du prince Shuja.
La jeune mariée, une Créole, n'a que 13 ans. Les noces sont célébrées
avec beaucoup de faste comme l'a écrit Madec lui-même. "Tous les grands du pays m'accompagnaient. Une populace innombrable suivait le cortège. Je fermais la marche passant entre deux haies de
feux d'artifice et d'illuminations, vêtu d'une magnifique robe d'argent". Ces festivités, qui entraîneront des dépenses somptuaires, dureront une semaine.
En 1767, la jeune Marie-Anne met au monde une fille qui meurt peu de temps après. Ensuite Madec rejoint les Jats en guerre contre les Rajputs dans la région d'Agra. Il reforme ses troupes et
achète des éléphants. Ses victoires lui vaudront d'être récompensé en monnaie sonnante et trébuchante, en diamants et en étoffe d'or et d'argent. Il rachètera et fera entièrement restaurer un
palais à Bharatpur où il s'installera avec sa femme et Balthazar, son fils âgé de quelques mois.
A la suite d'une bataille contre les Marathes il obtient le titre de
Panchazari, titre qui donne le droit de porter timbales sur un éléphant et d'avoir 14 chevaux portant trompettes.
A 33 ans, Madec est à la tête d'une fortune colossale. Il envisage alors de revenir en France pour poursuivre une carrière militaire. Les événements viendront perturber ses plans.
A la demande du gouverneur français de Chandernagor qui veut sceller des alliances avec les princes indiens pour chasser les Anglais du Bengale, il se retrouve combattant pour le compte de Shah
Alam, empereur des Mogols. Pour le récompenser de ses exploits militaires, l'empereur le fait nabab.
Madec s'installe à Delhi et se retrouve à la tête d'une forte armée de
6.000 hommes. "Dans cet état, je pensais à la misère passée et me félicitais de m'être fait moi-même ce que je suis dans ce pays-ci" écrira-t-il bien plus
tard.
Madec a parfaitement conscience du pouvoir qu'il a acquis : "Il n'y
a aucun prince ou seigneur puissant de l'Hindustan qui ne recherche mon amitié ou qui ne craigne mes ressentiments".
Le Quimpérois et sa famille s'installeront à Haidarabad, puis rejoindront Pondichéry. Le nabab quimpérois est las de cette vie trépidante. Il n'a qu'une envie : rentrer en France. Encore une
fois, ses projets seront contredits par de nouvelles offensives anglaises : le blocus et le siège de Pondichéry qui dureront 70 jours.
Le 11 janvier 1779, enfin, Madec embarque à bord du "Brisson" qui met le
cap sur l'île Maurice où il doit faire escale. Ses bagages se résument à 8 caisses et "quelques autres objets". Au large de l'Espagne le bateau sera abordé par des corsaires anglais. Madec sera
retenu captif pendant 2 mois en Irlande. De là, il regagnera Lorient puis Versailles où il remettra au gouvernement le rapport du siège de Pondichéry rédigé par le gouverneur Bellecombe. Madec y
apprendra que, depuis le 1er janvier 1777, il a été promu colonel et qu'il a été décoré de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis.
L'aventurier breton fait figure d'intrus à Versailles où sa rudesse et sa tenue vestimentaire choquent les manières des courtisans. Pourtant le nabab quimpérois aura l'honneur d'être reçu par
Louis XVI en personne.
Madec rentrera à Quimper où il possédait un hôtel particulier. A 45 ans
il sera anobli et achètera deux domaines : ceux de Coatfao et de Prat-an-Ratz où il fera construire un beau manoir.
En 1782 Marie-Anne lui donnera une troisième fille. En 1784, considérablement affaibli par le paludisme, et victime d'une chute de cheval, il est emporté au printemps par la gangrène. Sa femme
vécut à Quimper jusqu'à sa mort en 1841.
A la fin de ses jours, l'ancien gamin qui rêvait d'aventure se promenait
à cheval le long de l'Odet, revêtu de son costume de colonel, suivi de près par un esclave portant le costume traditionnel mogohl.
En 1982, Irène Frain publiera un livre, « le nabab », retraçant la vie de René Madec. En 1987, Jean Coué sortira un livre sur le même sujet « Le Nabab du Grand Mogohl ».