C’est l’attaque chinoise de 1962 et la déroute militaire indienne qui s’en suivit qui agirent comme un catalyseur.
D’une part le Pandit prend conscience que
la devise latine si vis pacem para bellum reste toujours d’actualité. Il faut donc, pour assurer la sécurité nationale, que l’Inde se dote, comme les autres nations, d’une armée crédible.
C’est ce qu’elle va faire et c’est là le premier renoncement aux idéaux de 1947. (Et c’était sans doute là l’objectif chinois : obliger l’Inde à consacrer une part importante de son budget à des
dépenses militaires, freinant ainsi son développement. La défaite militaire la discréditant en outre auprès des nouvelles nations ou auprès des groupes combattants pour obtenir l’indépendance, et
donc discréditant l’Inde au sein du tout nouveau Mouvement des Nations non alignées dont elle aurait voulu être le leader).
Face à la puissance chinoise, les stratèges indiens comprennent qu’un armement conventionnel ne sera jamais suffisant et il ne permettra pas à l’Inde d’arriver à une parité capable de dissuader
l’adversaire. L’option nucléaire, option encore taboue, s’impose donc, car elle seule créera un équilibre de la terreur, indépendant du nombre de divisions, de chars ou de
combattants.
Dans un des ses discours Nehru lui-même a fait allusion à « la bombe » : « Nous devons développer l’énergie atomique, sans idée de guerre. Je pense vraiment que nous devons la développer à des
fins pacifiques. Bien sûr, si en tant que Nation nous sommes contraints de l’utiliser à d’autres fins, alors aucun argument sentimental ne nous retiendra de l’utiliser à cette fin
».
Ce n’est qu’une allusion mais elle est claire.
Le 24 janvier 1966, Homi Bhabha est à bord du Boeing 707 d’Air India qui relie Bombay à New-York. Il doit participer à une conférence internationale. La mort va le surprendre et mettre fin à la vie d’un grand scientifique. Ce Boeing s’écrase sur le Mont-Blanc, tout comme le Malabar Princess quelques années auparavant. Nous avions relaté ces deux catastrophes aériennes d’Air India dans un article sur le « Malabar Princess » il y a plusieurs mois (http://www.indiablognote.com/article-23348610.html).
Ce qui frappe chez ce scientifique de
haut niveau c’es qu’il a eu très tôt la vocation des sciences physiques. Il écrit à l’âge de 19 ans une lettre assez étonnante à son père. Pour bien comprendre cette lettre, il faut se rappeler
que la communauté parsie (dont la famille Tata fait partie) est une communauté qui représente l’élite des affaires et que les membres de cette communauté ont vocation à jouer un rôle de premier
plan dans les affaires ou l’industrie. Voici donc ce qu’il écrit à son père :
"Je te dis sérieusement que devenir homme d’affaires ou ingénieur n’est pas l’avenir que je me souhaite. C’est même totalement contraire à ma nature et radicalement opposé à mon tempérament
et à mes opinions. Ma voie c’est la physique. Je sais que c’est là qu’est mon destin. Je pense qua chaque homme excelle uniquement
dans les domaines dans lesquels il est doué et pour lesquels il est passionné. Mon avenir ne peut dépendre de ce qu’untel ou untel pense de moi. Mon avenir sera le fruit de mon travail. De plus
ce n’est pas en Inde que l’on peut faire faire carrière dans les sciences.
J’ai une passion brûlante pour la physique. Je dois me consacrer à elle. Je n’ai aucun désir d’être quelqu’un qui a réussi ou de devenir le patron d’une grande boite. Il y a plein de gens intelligents qui peuvent le faire. Je t’entends déjà dire « mais tu n’es ni Socrate ni Einstein ». Je répondrai non, tout comme Berlioz répondit à son père qui l’avait qualifié de musicien inutile lorsqu’il était jeune. Comment quelqu’un d’autre peut-il savoir ce qu’une autre personne deviendra ? Il eut été inutile de dire à Beethoven qu’il devait devenir un scientifique ou à Socrate d’être un ingénieur. Je t’implore donc de me laisser me diriger vers la physique."
Homi Bhabha fut le père du programme nucléaire indien mais il milita activement pour la non prolifération nucléaire à des fins militaires.
L’Inde réalisera son premier essai
nucléaire en 1974, dans le désert du Thar.
Nehru et H Bhabha en 1952. A droite Indira Ghandhi.