Avant-hier, une personne m’a demandé pourquoi je lui recommandais chaudement la lecture de Mademoiselle Personne et j’ai à peu près répondu « euh, bais ... parce que c’est bon ». J’ai espéré que mes idées s’affinent afin de mieux les partager avec vous. Faut dire que cette histoire ne se raconte pas comme une autre, parce qu’elle est unique, alors repose sur moi la pression d’en donner un compte-rendu unique, tentant d’être à la hauteur de cette auteure.
Mademoiselle Personne, c’est Céleste, une jeune femme fascinante et ce n’est certes pas elle qui l’affirmerait, mais les hommes qui gravitent autour d’elle, pour sûr ! À commencer par Justin, un journaliste, instantanément amoureux de cette étrange qui parle à la mer. Will, un capitaine pris en otage par cette sirène sensuelle. Émile Bourgeois, un politicien ratoureux à l’étroite vision aspirée par cette âme grande. Un chapitre est consacré à la vision de chacun de ces hommes, le dernier donnant la parole à Céleste, celle qui chamboule les cœurs seulement en étant qui elle est. Ils sont sous son charme magnétique, son père également, même s’il n’a pas son chapitre à lui, et sa compagne au quotidien, sa fidèle, silencieuse, son ange veillant, Marie l’indienne.
Céleste, Gaspésienne aérienne, butée, un de ces personnages dont on a envie de dire, il ne s’invente pas. Elle existe et existera toujours, elle s’impose au lecteur. Une de ces filles femmes qui agissent, mues par l’instinct, qui parle par le silence des gestes. Dès les premières lignes, on se coule dans un univers mystérieux qui se décèle par la poésie du geste. Le ton raconté a une constance rassurante, il glisse sur la méchanceté, le tragique, aussi libre que sur la complicité et les chants amoureux, la conteuse raconte, à vous d’y réagir comme bon vous semble.
Comme une montagne, Mademoiselle Personne trône et son contour varie selon l’angle de qui la regarde et selon l’éclairage diffusé par les strates de sa vie. Il y a du rebondissement dans cette histoire, du surprenant, méfiez-vous des mers à l’apparence calme, sous son étale sommeillent des réalités insoupçonnables. Céleste accrochée à sa mer où se mire l’infini, quel sentiment, diriez-vous, quand il est intense, fouille et transcende le fini ? L’amour, bien sûr l’amour ! Ce puissant sentiment qui dévaste la volonté et qui nous tient en vie. Cette histoire en contient plusieurs, de ces amours qui étreignent le cœur. De sublimes scènes de sensualité fougueuse nous ancrent à la terre. Des visions célestes nous font décoller au-dessus des nuages. Des odeurs de mer nous noient l’esprit.
Après les trois chapitres sur ses hommes, arrive ce tête-à-tête avec Céleste, lequel m’a un peu déstabilisé au départ. À travers les yeux de ses hommes, elle était géante de mystère. De l’entendre directement, une certaine tension tombe. Je n’ai pu m’empêcher de penser à la perception de soi quand on se regarde dans le miroir, il y manque cette dimension palpitante qui jaillit du regard des autres posé sur soi. Malgré ce choc momentané, l’intérêt s’attèle de nouveau par le style de Marie Christine Bernard qui s’enfle comme un voile au vent, jusqu’au quai.
Le style de cette auteure est une expérience en soi, elle interpelle le lecteur, le place en témoin, l’amène au large par une voix joyeuse de conteuse. J’ai été prise à bras le corps, elle m’a fait décoller de la rive de mon continent, obligée à visiter la mer de son monde. Et je me suis laissé engloutir ... pour une Venise quand même !
Comme je comprends ce Prix France-Québec qu’elle a plus que gagné mais mérité ! Ce que je comprends moins est le silence des médias sur ce roman. Curieux et triste, parce que par ce roman, Marie Christine Bernard mérite amplement d’être prophète en son pays !
Mademoiselle Personne - Marie Christine Bernard, Hurtubise HMH, 319 p.