La rencontre des profils
Facebook retranscrite dans le réel est impossible puisqu’on
y est tourné vers soi pour mieux se détourner de l’autre et que
ce « moi » n’a, de toute façon, aucune chance d’exister réellement.
Facebook se compose de « profils », qui, pour la plupart, renvoient à des personnes ayant une existence réelle. Ces individus se croisent chaque jour dans la rue, les transports en commun ou à la terrasse d’un café. On rencontre alors des gens bien éloignés de leur équivalent sur Facebook.
Ce réseau dit social n’est pas l’accueil de l’autre cher à Levinas mais la recherche du meilleur accueil de soi par les autres. Facebook nous fait prince de la manipulation : on choisit minutieusement ses photos, sa personnalité, on fait part de ses gouts et dégouts, on ajoute, on élimine, on tag, on détag, on s’amuse comme des petits fous en étendant partout son identité factice. Quitte à annihiler la véritable ouverture à l’autre car celui-ci ne vient pas nous compléter mais est visé comme un possible contemplateur de soi.
Facebook est ainsi le lieu de l’idolâtrie du moi qu’on appellera Egolâtrie en tant que le profil créé cherche à susciter l’admiration et glorifie le moi. La solitude face à son écran d’ordinateur permet une maîtrise totale de son image qui autorise à se prétendre sublime. Facebook est un outil inventé par l’homme pour se réapproprier son moi et son rapport au monde sans les obstacles que pose la vie réelle mais sur le terrain de l’illusion réciproque. On se place alors en toute légalité et sans usage de stupéfiant dans une Egolâtrie où notre tranquillité ne peut être remise en cause.
La vie réelle vient nous déposséder de notre gloire virtuelle. L’apparente maitrise de soi et les délices de la virtualité qui nous préservaient de nos affects volent en éclat. Par un effet boomerang, notre vulnérabilité nous revient en pleine face, avec violence. Nous ne pouvons maitriser notre image qui est affectée par l’extériorité comme nous maitrisons un profil Facebook. Le réel nous plonge dans une nudité salvatrice et nous fait prendre conscience de l’urgence de sortir de l’Egolâtrie pour mieux prendre en compte notre responsabilité, jusqu’alors ignorée, à l’égard d’autrui car « nous sommes tous responsables de tout et de tous devant tous et moi plus que tous les autres » (Dostoïevski). On forge en premier lieu son identité à l’aide de la reconnaissance de l’autre, impossible sur Facebook qui est paradoxalement le comble du repli sur soi.
On tombera amoureux d’un joli profil comme d’une poupée gonflable, confectionnée dans sa perfection, prenant l’attrait d’un être réel pour mieux nous berner. Facebook est bel et bien le fantasme de la poupée gonflable qui permet à l’être de totaliser et maîtriser l’autre via sa néantisation. Il permet certes d’exaucer son vœu le plus cher mais d’une façon perverse car il ne s’agit, la plupart du temps, que d’une simulation de la réalité d’une relation interpersonnelle.
Rémi Gelin Consultant en Geek Philosophie