Le père d’une fille née hors mariage a souhaité en obtenir la garde conjointe (« joint custody ») après la séparation d’avec la mère de l’enfant. Cependant, le droit allemand ne permet cette garde conjointe des enfants nés hors mariage qu’en cas de déclaration conjointe des parents, de mariage de ces derniers ou de décision juridictionnelle, mais sous condition du consentement de l’autre parent, consentement qui n’a pu être recueilli en l’espèce.
La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie d’une requête formée par ce père alléguant d’une discrimination dans la jouissance de son droit au respect de la vie familiale (Art. 14 combiné à l’article 8).
La première question relative à l’applicabilité des dispositions conventionnelles aux faits de l’espèce est aisément tranchée. La Cour rappelle que la notion de famille au sens de l’article 8 “n’est pas confinée aux relations maritales et peut comprendre d’autres liens ‘familiaux’ de facto où les parties vivent ensemble hors du mariage” (§ 37). De sorte que, au regard des relations unissant ici le père à sa fille depuis sa naissance, les “proches liens personnels” existant entre les deux révèlent une telle vie familiale (§ 39).
Plus délicat est la question de savoir si une discrimination existait entre les parents d’enfants nés dans le cadre du mariage - qui ont le droit de bénéficier d’une garde conjointe par décision de justice même en cas d’opposition de l’un des parents - et ceux d’enfants nés hors mariage - où la mère obtient la garde exclusive sauf accord pour une garde conjointe ou transfert de la garde exclusive au père en cas de menace pesant sur le bien être de l’enfant (§ 44 - N.B. l’arrêt tend à utiliser les expressions de “parental authority“-“joint authority” et “joint custody” sans distinction, malgré leurs sens différent en droit français notamment).
Comme le résume la Cour , “le point crucial [du droit allemand] est que la garde conjointe contre la volonté de la mère d’un enfant né hors mariage est prima facie considérée comme contraire à l’intérêt de l’enfant” (§ 46 in fine). Mais cette analyse adoptée par la Cour constitutionnelle allemande en 2003 (§ 47) pour justifier la différence de traitement entre le “père d’un enfant né hors mariage” et la mère de cet enfant ou les “pères mariés” (§ 48) ne convainc pas la Cour (§ 59).
Les juges européens soulignent tout d’abord les différences d’environnement familial qui peuvent exister entre les cas où l’enfant né hors mariage dispose d’un père non identifié ou non investi dans son éducation et celui où il dispose d’un père jouant pleinement son rôle. Cette dernière situation, selon la Cour , “ne peut pratiquement pas être distingué[e] [« indistinguishable »] d’un environnement basé sur une relation maritale stable des parents“ («an intact parental marriage » - § 54). La Cour refuse donc de considérer “les relations entre pères non-mariés et leur enfants” comme nécessairement instables (§ 56), ce qui n’est d’ailleurs aucunement le cas en l’espèce (§ 57). Plus encore, la “large marge d’appréciation” conférée aux États en ce domaine est réduite à la lueur du “contexte européen évolutif […] et [du] nombre croissant de parents non-mariés“ (§ 60). “Malgré l’absence de consensus européen quant au droit des pères d’enfants nés hors mariage de demander la garde conjointe même sans le consentement de la mère, le point de départ commun de la majorité des États membres [v. § 22-27] est de fonder la décision attributive de la garde sur l’intérêt de l’enfant et qu’en cas de conflit entre les parents, cette attribution fasse l’objet d’un examen des juridictions nationales” (§ 60).
En conséquence, la Cour estime injustifiée la différence de traitement subie par le requérant - reconnu juridiquement comme père et qui a joué effectivement ce rôle vis-à-vis de sa fille - par rapport notamment à un père éventuellement divorcé de la mère par la suite (§ 62).
Cette discrimination emporte donc violation par l’Allemagne de l’article 14 combiné à l’article 8.
La juridiction strasbourgeoise tend, en matière d’exercice des droit parentaux, à ne plus juger pertinente les distinctions fondées sur la seule nature juridique des liens qui existant entre les parents au moment de la naissance du ou des enfants (V. contra l’opinion dissidente du juge Schmitt).
Zaunegger c. Allemagne (Cour EDH, 5e Sect. 3 décembre 2009, n° 22028/04 ) - En anglais