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Les derniers rapports (remparts?) de la CNDS et du Défenseure des enfants (rapports d’activité )

Publié le 10 décembre 2009 par Combatsdh

« Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
Montesquieu, L’Esprit des lois, livre XI, chapitre VI

C’est par cette phrase que la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) introduit la brochure présentant son dernier rapport activité.

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La Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) et la Défenseure des enfants - les deux autorités administratives indépendantes qui doivent disparaître lorsque le “Défenseur des droits” prévu par la réforme constitutionnelle de 2008 sera mis en place - viennent de publier leurs derniers rapports d’activité.

Rappelons que ces deux autorités indépendantes, dont le rôle important a été salué jusqu’ici, contestent le principe de leur disparition.
Ainsi la CNDS rappelle que : « La création par la Constitution du Défenseur des droits, autorité administrative indépendante chargée de protéger les droits et libertés des citoyens, est une avancée importante. Il ne faudrait pas pour autant qu’elle constitue une menace pour les garanties apportées par la CNDS : qu’en sera-t-il de la visibilité et de l’autonomie institutionnelle de celle-ci, de l’originalité de sa composition et de ses compétences ? La mission actuellement confiée à la CNDS risque d’être diluée dans toutes celles que devra assumer la nouvelle institution. Ce ne serait pas le moindre des paradoxes qu’une réforme menée afin de renforcer les droits des citoyens aboutisse à la suppression de facto de garanties précédemment accordées à cette fin. »

- Rapport 2009 de la CNDS

http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/094000554/0000.pdf

- Rapport d’activité 2009 de la Défenseure des enfants :
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/094000549/0000.pdf

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- Le rapport en lien avec le travail de la Défenseure de enfants sur la Consultation nationale « Parole aux jeunes » a également été rendu public :
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/094000548/0000.pdf

Actualités droits-libertés du 26 novembre 2009 par Sylvia PREUSS-LAUSSINOTTElogo_credof.1226680711.jpg

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Sur la CNDS :

  • “L’heure du bilan pour la Commission nationale de déontologie et de sécurité “, Les inrockuptibles, 25 novembre 2009 Entretien avec Roger Beauvois, dernier président de la CNDS

“Les missions de la CNDS vont être transférées au Défenseur des droits : qu’est-ce que ça change ?

Aujourd’hui, la commission se compose de quatorze personnes. Leur mode de désignation garantit une indépendance totale. Les origines sont très diverses : magistrats, juristes, universitaires, un professeur de médecine légale, un ancien directeur des services de la police, un ancien directeur de l’administration pénitentiaire… Le Défenseur des droits, lui, aura une compétence très large. Il sera assisté de trois personnes, désignées par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, donc les autorités politiques. Elles seront choisies en fonction de leurs compétences en matière de sécurité. Le problème c’est qu’il n’y a pas seulement la sécurité, mais aussi la déontologie de la sécurité : c’est ce qui nous préoccupe à titre principal. Je ne doute pas que ces personnalités seront, dans leur esprit, indépendantes. Mais il ne s’agit pas seulement de l’indépendance subjective, il y a aussi l’image qu’on renvoie, l’image que les citoyens se font de l’indépendance. S’ils prennent position pour tel fonctionnaire, on pourra toujours les soupçonner d’avoir obéi à des instructions.

Le Défenseur des droits apporte quand même une amélioration : la saisine s’élargit à tous les citoyens, alors qu’il fallait jusqu’à présent passer par un parlementaire.

C’est un progrès. Mais il suffisait de changer le mode de saisine de la CNDS, et d’augmenter ses moyens pour faire face à une hausse du nombre de demandes.

Comment expliquez-vous la suppression de la CNDS ?

D’abord la Constitution a créé ce Défenseur des droits, qui apparait effectivement comme une avancée démocratique. C’est une sorte d’ombudsman chargé de régler les différends entre les administrations et les citoyens, l’idée est bonne. Mais cette nouvelle institution n’offre par les mêmes garanties que la CNDS. Il n’est pas à exclure non plus que la CNDS gêne - c’est son rôle d’ailleurs - par ses avis, ses recommandations, les critiques envers telle ou telle administration régalienne. Et il y a une hostilité de certains syndicats de police.

On vous accuse de mettre votre nez dans les affaires de la police ?

C’est un peu ça oui.

Est-ce que vous avez l’impression, en huit ans, d’avoir eu une influence sur le comportement des forces de sécurité ?

Certaines de nos recommandations concernent des personnes déterminées, des fonctionnaires dont nous estimons qu’ils ont manqué à leurs devoirs. Nous demandons l’ouverture de procédures disciplinaires ou l’application de sanctions. Nous sommes très peu suivis. Très souvent, aucune procédure n’est ouverte, ou les sanctions prononcées sont ridicules. Par contres, les recommandations d’ordre général ont été souvent suivies. Par exemple sur les fouilles à nu ou les menottages, des ministres ont donné des instructions qui correspondent tout à fait à ce que nous avons recommandé. Reste à savoir si elles sont appliquées. C’est très lent, mais je crois qu’à terme ça aboutit. Autre point favorable : dans les écoles de police l’enseignement de la déontologie a pris beaucoup d’importance. L’an dernier nous avons eu 152 saisines pour toute l’année, cette année nous en sommes déjà à plus de 200. Dans la mesure où les citoyens savent qu’ils peuvent avoir un recours ça ne peut qu’améliorer les choses.

Pendant huit ans, avez-vous travaillé sereinement ?

Il y a un cas précis dans lequel nous n’avons pas pu faire ce que nous souhaitions faire, c’est-à-dire aller voir dans quelles conditions était hospitalisé un évadé qui avait été blessé dans un échange de coups de feu avec la police. Un parlementaire nous avait saisi, en expliquant que l’homme était menotté au lit, ce qui est inadmissible. Cela fait partie des droits de la CNDS de procéder à des investigations sur place immédiatement. Il y a eu une véritable entrave à notre fonctionnement. Le rapporteur n’a pas pu voir le malade. C’est un cas d’opposition délibérée aux investigations de la commission. Mais la plupart du temps, les obstacles que nous rencontrons viennent des délais. Nous demandons par exemple la copie d’une procédure, de procès-verbaux dressés par la police, d’une enquête de l’IGS, et il faut attendre, parfois faire plusieurs rappels. En général nous obtenons les pièces que nous désirons.

En exergue de votre bilan 2009, vous citez Montesquieu : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Quel message vouliez-vous faire passer ?

Tout homme qui dispose d’un pouvoir est tenté d’en abuser. Personne n’échappe à ce risque. Il ne peut être arrêté que par des barrières personnelles ou professionnelles : le risque de sanction, une éthique développée, etc. Ou par un contre-pouvoir. La commission de déontologie en est un.

Sans la CNDS, il manquera un contre-pouvoir aux forces de police ?

Je ne dis pas ça, mais le défenseur des droits aura moins de possibilités d’actions que nous n’en avons actuellement.”

  • Isabelle Mandraud, “La CNDS fait son bilan avant de disparaître au profit du Défenseur des droits” , LE MONDE | 24.11.09 | 14h51.

“Dans 40 % des dossiers que nous traitons, nous concluons qu’il n’y a pas eu manquement à la déontologie : si nous avions un réflexe antipolicier, nous n’en éliminerions pas quatre sur dix”, proteste M. Beauvois. “Les contrôles sont à la mesure des pouvoirs qu’ils détiennent”, ajoute le président de la CNDS, mais les demandes de sanctions visant des fonctionnaires, dit-il, “ne sont jamais suivies d’effet”. La Commission relève que ses avis d’ordre général ont, au contraire, un impact. Ainsi, ses observations répétées sur les gardes à vue abusives, les fouilles à corps et le menottage ont-elles fait l’objet d’instructions. “Nous avons mené la bataille sur les gardes à vue, se félicite M. Beauvois, mais certaines pratiques résistent à tout.”

  • “Pourquoi détruire la Commission de déontologie de la sécurité?” , MediaPart - ‎24 nov. 2009‎
  • “La CNDS, garde-fou nécessaire et menacé“, L’Humanité, 25 novembre 2009.
  • “La CNDS, qui contrôle la police, regrette de disparaître“, Reuters, publié le 24/11/2009.

Sur la Défenseure des enfants:

Entretien avec Dominique Versini, dernière défenseure des enfants, Nouvel obs, 19 novembre 2009

“Le gouvernement sous-estime le travail du Défenseur des enfants”

Au 20ème anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, où en sont les droits de l’enfant aujourd’hui ?

- Globalement, la France fait partie des pays avancés en matière des droits de l’enfant. Toutefois, la Convention fixe des objectifs importants en la matière et le comité des droits de l’enfant des Nations-Unies chargé de vérifier l’application au niveau national des engagements internationaux a noté dans son rapport du 22 juin 2009 qu’il restait des choses à accomplir. Il a notamment recommandé à la France d’adopter une stratégie nationale pour les enfants et de renforcer le rôle du Défenseur des enfants.
De son coté, la France, qui a ratifié la convention internationale des droits de l’enfant en 1990, et qui a créé le Défenseur des droits de l’enfant en 2000, semble aujourd’hui vouloir le supprimer au bénéfice d’une institution plus large, le “Défenseur des droits”…
La création du défenseur des droits de l’enfant, en [mars, ndlr] 2000, est née d’une mission parlementaire engagée par Laurent Fabius, qui a conclu que les droits de l’enfant n’avaient pas beaucoup avancé en France depuis la ratification de la convention internationale des droits de l’enfant en 1990. Le défenseur des enfants a donc été créé, et cette proposition a été votée à l’époque à l’unanimité.

Sa suppression est, pour vous, un recul ?

- Oui. La suppression du Défenseur, qui sera intégré dans une institution spécifique où l’on mélange tous les droits, représente indéniablement un recul. On l’intégrera, en somme, dans la même machine administrative que tous les autres droits.
Hier, un représentant des Nations Unies a déclaré que si ça se faisait, ça serait une première dans le Monde.
Je suis présidente du réseau européen des 35 défenseurs des droits de l’enfant et je peux vous dire que la tendance en Europe est plutôt à la création de Défenseurs des droits de l’enfant, pas à sa suppression. J’étais à Moscou il y a peu, et là bas, ils vont créer un Défenseur sur le modèle français, alors que nous, on le supprime !
Le gouvernement français considère sans doute qu’il a fait toutes les avancées en matière de Droit des enfants, mais le rapport du comité des droits de l’enfant des Nations Unies prouve qu’il y a encore des choses à accomplir.

Croyez-vous qu’il s’agit d’un geste politique ?

- Je ne pourrais en aucun cas affirmer ça. Je n’ai d’ailleurs jamais échangé avec les personnes qui ont fait la proposition de loi. Il n’y a pas eu de consultation lors de la mise en place de ce projet. Le gouvernement souhaite mettre en place une structure qui englobe tous les pouvoirs en matière de droits. Faire ça la veille du 20ème anniversaire est une drôle d’idée.

Vous pensez-que la loi sera votée ?

- Je ne sais pas, je n’ai jamais rencontré les collaborateurs qui ont rédigé ce projet de loi [déposé le 9 en septembre 2009 au Sénat, ndlr]
Nous avons lancé un appel à soutien pour un Défenseur des enfants indépendant qui a déjà récolté près de 43.000 signatures. Notre page Facebook en a collecté 4.000 supplémentaires. Nous sommes très soutenus, par énormément de citoyens. Beaucoup de villes, tous les départements d’Ile-de-France à l’exception des Hauts-de-Seine (92) et des Yvelines (78) ont voté des motions pour demander au président de la République de revoir son texte.
Je pense que le gouvernement a beaucoup sous-estimé le travail qui est fait. Les collaborateurs qui ont préparé le texte n’ont même pas pris le temps de nous consulter.

Vous avez lancé une consultation nationale “Parole aux jeunes” auprès de 2.500 jeunes afin de dresser un état des lieux des droits des enfants. Vous présentez aujourd’hui des propositions au président de la République, pensez-vous qu’il vous entendra ?

- Les 200 propositions [”200 propositions pour construire ensemble leur avenir”, ndlr] sont consultables dans mon rapport d’activité 2009. Elles seront présentées aujourd’hui à la Sorbonne. La consultation nationale s’est faite dans quinze départements de France métropolitaine et d’Outre-mer. Les jeunes ont réfléchi sur dix thèmes de société qui les concernent directement : la famille, l’éducation, la justice, les violences, les discriminations, la santé, le handicap, la précarité, l’expression et la participation, la vie privée et Internet. Ils ont fait des propositions à l’attention du président et du parlement.
Même si lorsque le défenseur des droits des enfants a été créé il était prévu que cette institution indépendante n’ait comme interlocuteur direct que le président de la République, celui-ci n’a pas pu se libérer pour la présentation des propositions, et c’est le Haut-Commissaire à la jeunesse Martin Hirsch qui fera le déplacement. Les jeunes sont un peu déçus, mais sont tout de même content de rencontrer M. Hirsch. L’important est qu’on les écoute.

La député UMP de Paris Edwige Antier a déposé une proposition de loi pour faire interdire la fessée. Qu’en pensez-vous ?

- J’y suis tout à fait favorable à cette interdiction. Je l’avais d’ailleurs moi-même déjà proposée. Mais, comme le propose Mme Antier, il faut inscrire cette interdiction dans le Code civil et non pénal, à condition qu’on mette en place une politique d’accompagnement et une campagne d’information. Pour expliquer aux parents que la parole bien ferme d’un parent d’un parent bienveillant est plus efficace que la violence. Dans les pays nordiques où les châtiments corporels sont interdits, comme la Suède ou la Norvège, la délinquance a chuté. L’éducation sans fessée fait une belle jeunesse sans violence.
Dans la consultation nationale que nous avons lancée, les jeunes ont bien défini le rôle des parents. Selon eux il est de fixer des limites. L’éducation ce n’est pas le dressage.
Il ne faut pas non plus dramatiser la fessée. C’est quand on trouve que son usage est normal qu’il y a un problème.

La France a-t-elle à rougir de la situation des droits de l’enfant par rapports à ces pays ?

- Tout est relatif. Par rapport aux pays scandinaves, on est vraiment à la traîne, mais par rapport à d’autres pays, on est très en avance. Cependant, on a reculé sur la question de la justice des mineurs, levé le pied sur l’éducatif pour augmenter le répressif. De moins en moins, un jeune en France a le droit à une deuxième chance et c’est un changement notable de la politique du gouvernement.

Interview de Dominique Versini par Tristan Berteloot
(le jeudi 19 novembre 2009)


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