En 1993, un homme a tué sa femme, sa belle-mère et grièvement blessé son beau-père au domicile de ces deux derniers où la première s’était réfugiée afin d’éviter ses violences. Il s’est ensuite suicidé.
Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme condamne tout d’abord la Roumanie pour violation du droit à la vie (Art. 2).
Après avoir rejeté l’exception d’incompétence ratione temporis soulevée par le gouvernement défendeur (§ 79 - 88), les juges ont en effet estimé que l’obligation procédurale d’enquête rapide et effective sur les faits relevant du droit à la vie n’a pas été pleinement respectée (§ 116 - lenteur de l’enquête sur des protagonistes des meurtres - § 108 ; manque d’indépendance du procureur militaire saisi - § 111 ; « absence de motif à une décision de non-lieu [ce qui] dans le cadre d’une affaire controversée [entrave] le contrôle du public et l’accès de la famille à l’enquête » - § 114).
Cependant, le second motif de condamnation, sur le terrain du droit au respect de la vie familiale (art. 8) est plus remarquable encore. Le frère du meurtrier a obtenu la qualité d’héritier de l’épouse tuée car aucune poursuite pénale n’a pu être déclenchée contre ce meurtrier du fait de son suicide. Or, selon le droit interne, l’indignité successorale (déchéance des droits à hériter) ne peut intervenir qu’après condamnation définitive de l’intéressé, qui ici a donc pu transmettre son droit à son frère (N.B. le droit français exclut partiellement cette hypothèse - v. Art. 727 in fine du Code civil). Cette situation - ainsi que le rôle trouble de ce frère qui avait accompagné le meurtrier au domicile des beaux-parents le jour du drame - est contestée par les requérants - le père et la sœur de l’épouse tuée. Les juges européens ont ici justifié leur analyse selon laquelle l’article 8 « entre en ligne de compte » (§ 128) en relevant d’abord que « la vie familiale […] englobe aussi des intérêts matériels » et que « les droits successoraux constituent donc un élément non négligeable de la vie familiale » (§ 125).
Mais, pour autant, ils évitent de remettre en cause la liberté accordée aux États quant à la définition des règles de répartition successorale (§ 125 in fine) en jugeant que si les dispositions roumaines litigieuses « ne se heurtent pas en elles-mêmes à la Convention », cette dernière s’applique pourtant s’agissant « d’une contestation quant à la qualité des successeurs » (§ 126).
Au terme de son raisonnement, la Cour réduit donc l’affaire à une ingérence étatique au sein du droit au respect de la vie familiale ou à une obligation positive de protection de ce dernier (§ 127). Et, dans ce cadre, si « la Convention n’exige pas d’un État membre qu’il adopte des dispositions législatives en matière d’indignité successorale […] une fois ces dispositions adoptées, elles doivent être appliquées d’une manière conforme à leur but » et ne pas faire l’objet d’ « une application trop rigide » (§ 129). Or, « sans ignorer l’importance du principe de la sécurité juridique […] la Cour estime, au vu des circonstances particulières de la présente espèce [beaucoup d’éléments qui établissent la culpabilité du mari], que l’interprétation de la disposition du code civil régissant les causes d’indignité a été trop restrictive, au détriment de la vie familiale du requérant » (§ 131).
Il ne fait guère de doute ici que la décision strasbourgeoise est fortement emprunte de considérations d’équité (« La Cour ne saurait admettre que, à la suite du décès d’une personne, le caractère illicite de ses agissements reste sans effet » - § 132), d’où des affirmations pour le moins volontaristes (« la reconnaissance formelle, par les autorités, du caractère illicite de tels agissements avant de conclure à une décision de classement de l’affaire déterminée par le décès de la personne concernée devrait constituer, d’une part, un message clair envoyé à l’opinion publique que les autorités ne sont pas disposées à tolérer de tels agissements, et, devrait servir, d’autre part, aux intéressés, dans les prétentions à caractère civil qu’ils peuvent avoir » - § 132).
Toutefois, même si la Cour cherche à circonscrire cette solution à des « circonstances particulières et, pour ainsi dire exceptionnelles » (§ 133), il n’est pas sûr que son raisonnement juridique soit irréprochable ou qu’elle ait réussi, malgré ses propres affirmations, à ne pas froisser au passage d’importants principes (la liberté des États en matière successorale, voire « ce principe fondamental du droit pénal national qu’est le caractère personnel et non transmissible de la responsabilité pénale » - § 133).
Velcea et Mazăre c. Roumanie (Cour EDH, 3e Sect. 1er décembre 2009, n° 64301/01)