Une femme espagnole a souhaité obtenir après le décès de son mari une pension de réversion. Les autorités espagnoles refusèrent cette demande au motif qu’ils n’étaient pas mariés civilement. En effet, le couple était certes marié depuis 1971 mais selon les rites propres à la communauté rom. Si le tribunal saisi en première instance fit droit aux prétentions de cette femme, la juridiction d’appel puis le Tribunal constitutionnel espagnol saisi d’un recours d’amparo infirmèrent cette solution.
La requête déposée devant la Cour européenne des droits de l’homme alléguait d’une discrimination (Art. 14) dans la jouissance du droit de propriété (Art. 1er du protocole n° 1) et du droit au mariage (Art. 12). Sur le premier grief, la Cour admet tout d’abord sa recevabilité en reconnaissant que la requérant dispose d’« intérêts patrimoniaux […] entr[a]nt dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 » (§ 46). Sur le fond, ensuite, la Cour résume « la question qui se pose dans la présente affaire, […] celle de savoir si le fait pour la requérante de s’être vu dénier le droit de percevoir une pension de réversion révèle un traitement discriminatoire fondé sur [son] appartenance à la minorité rom, par rapport à la façon dont la législation et la jurisprudence traitent de situations analogues, lorsque les intéressés croient de bonne foi à l’existence du mariage même si celui-ci n’était pas légalement valable » (§ 54). Or, il est relevé que la requérante « croyait de bonne foi à la réalité de son mariage » et ce, légitimement, car « les autorités espagnoles lui ont délivré plusieurs documents officiels attestant de sa qualité d’épouse » (§ 56) ce qui a pu être perçu par elle comme une « reconnaissance officielle » (§ 62).
Mais la légitimité de cette perception est, selon la Cour, surtout étayée par « l’importance des croyances que la requérante tire de son appartenance à la communauté rom, communauté qui a ses propres valeurs établies et enracinées dans la société espagnole » (§ 56). En ce sens, elle affirme que « la force des croyances collectives d’une communauté culturellement bien définie ne peut pas être ignorée » (§ 59) et qu’« un consensus international se fait jour au sein des États contractants du Conseil de l’Europe pour reconnaître les besoins particuliers des minorités et l’obligation de protéger leur sécurité, leur identité et leur mode de vie » (§ 60 et § 34-35 où est citée la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales).
En conséquence, « si l’appartenance à une minorité ne dispense pas de respecter les lois régissant le mariage, cela peut influer sur la manière d’appliquer ces lois » (§ 61) et, dans « les circonstances de l’espèce », les autorités espagnoles devaient donc tenir compte de cette particularité. Faute de l’avoir fait, elle est condamnée pour discrimination dans la jouissance du droit de propriété. Cependant, aucune violation ne sera retenue sur le terrain du droit au mariage, car le mariage civil est « ouvert aux Roms dans les mêmes conditions d’égalité qu’aux personnes n’appartenant pas à la communauté rom » et le fait que certaines formes religieuses se soient vu reconnaître des effets équivalents au mariage civil relève de la marge nationale d’appréciation (§ 80).
Cette dernière solution permet d’ailleurs de bien préciser la portée de cet arrêt, qui bien qu’important ne doit pas être extrapolé. La Cour ne consacre pas ici un droit pour les personnes ayant contracté une forme de mariage selon des rites minoritaires de bénéficier des mêmes conséquences juridiques qu’un État décide d’accorde au mariage civil (V. d’ailleurs l’opinion dissidente du juge Myjer qui remarque que certains acteurs de l’affaire espéraient « obtenir la satisfaction d’une revendication ancienne, à savoir la reconnaissance de la légalité du mariage rom »). La discrimination est circonscrite ici à l’application d’une clause particulière du droit espagnol - notamment jurisprudentiel - qui permet de tenir compte de circonstances exceptionnelles ou de la bonne foi pour accorder certains avantages à des personnes qui n’ont pas pu se marier (§ 53). C’est sur ce point précis que la Cour a reproché aux autorités espagnoles de n’avoir pas tenu compte du mariage rom pour la pension de réversion alors qu’elles l’avaient de facto reconnu auparavant pour d’autres aspects (§ 69).
Le présent arrêt n’est donc pas, semble-t-il, contradictoire avec une autre récente décision de la Cour concernant la reconnaissance d’un mariage religieux (Cour EDH, 2e sect. 20 janvier 2009, Şerife c. Turquie, Req. n° 3976/05 - V. la Lettre actualité du 21 janvier 2009 et CPDH 22 janvier 2009).
Muñoz Diaz c. Espagne (Cour EDH, 3e Sect. 8 décembre 2009, Req. n° 49151/07 )