Magazine Culture

Le Versificateur

Par Sandy458

P1010309bis


Août 1990, Place du Chatelet à Paris. Rencontre fortuite avec Claude Scherrer, poète.

« Vous aimez la poésie ? »

L’homme d’une quarantaine d’année questionne les passants de sa voix fatiguée mais où vibrent les intonations d’espoir de celui qui veut encore croire qu’il obtiendra une réponse affirmative.

 « Vous aimez la poésie ? »

A vue de nez, il n’a pas plus de 45 ans. Autour de lui flotte un costume dépassé et élimé qui a du connaître des jours meilleurs.

Il sert contre lui une vielle sacoche en cuir brun d’où sortent des livrets à la couverture cartonnée.

Dans ce quartier grouillant de vie du centre de Paris, sa présence laisse une impression d’incongruité. Les touristes et les habitués du coin passent sans même lui jeter un œil, laissant sa précieuse question mourir dans le vacarme des véhicules qui empruntent la rue de Rivoli.

« Vous aimez la poésie ? »

Comment résister à la tentation de s’arrêter un instant et de prêter une oreille à ce drôle de personnage ?

Il s’appelle Claude Scherrer.

Il me raconte qu’il est poète, que c’est là toute sa vie, son essence profonde.

Il ne veut rien faire d’autre que broder ses mots et il s’y est consacré au risque de tout.

De tout perdre et de se gagner à défaut de se perdre et de gagner «on ne sait quoi »?

Les rimes sont sa respiration, les vers sont le sang qui pulse dans ses veines, que tout s’arrête et il meurt sur l’instant.

Il se voue à sa passion à en sombrer, à en mourir à petit feu dans l’indigence.

Il ne trouve plus moyen de se faire éditer, les temps sont durs même –surtout – pour les auteurs qui se veulent incorruptibles comme lui.

La poésie est un genre mort pour l’édition, les vers ne portent plus que le souvenir d’envolées lyriques dépassées ou de concisions proches de l’inanition littéraire.

Il est réduit à vendre ses recueils de poésie comme un camelot, recueil qu’il créé avec les moyens dont il dispose : rien, du papier, de l’encre, de l’espoir.

Il n’est plus que le colporteur de ses rimes et de ses rêves, le VRP improbable d’une passion qui l’a phagocyté.

Un bonimenteur heureux, enfin, lorsqu’il trouve un amateur.

J’hésite entre l’admiration et la compassion…

******

C’était il y a 20 ans, pendant l’été de l’année 1990, presque dans une autre vie pour moi.

Cette brève rencontre m’est toujours restée en tête.

Je me demande aujourd’hui ce qu’est devenu ce poète, je pense à cet homme désabusé mais qui voulait encore y croire malgré sa situation alarmante.

Les jolies lettres ne sont pas toujours là où on les attend.

Pas toujours sur les rayons d’une librairie ou dans les pages d’un magazine littéraire.

Parfois, elles se trouvent à un coin de trottoir.

Elles attendent qu’on ralentisse sa course et qu’on les considère. Tout simplement.


Retour à La Une de Logo Paperblog

LES COMMENTAIRES (2)

Par Lou
posté le 21 mars à 18:36
Signaler un abus

Il est toujours vivant, et continue de questionner les passants rue de Sèvre dans le 7ème, devant la boutique Arnys. Ses poèmes continuent d'être beaux...

Par ADELA
posté le 09 mars à 20:24
Signaler un abus

Aujourd'hui, 9mars 2010, Claude Scherrer se trouvait non loin du théatre Récamier ,très fatigué ,mais le regard vif en disant l'un de ses textes "la lumière". Je le vois souvent à cet endroit. Il me semble de plus en plus éprouvé.

A propos de l’auteur


Sandy458 856 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog