Voici deux lignes du discours de notre admirable président au sujet de l'identité nationale. Pas n'importe lesquelles. Les premières.
Par référendum, le peuple suisse vient de se prononcer contre la construction de nouveaux minarets sur son territoire. Cette décision peut légitimement susciter bien des interrogations.
Il est déjà un peu inhabituel de commencer un discours politique intérieure par des considérations sur la politique intérieure d'un autre pays, d'ailleurs non membre de l'Union européenne et ayant gelé (2003) sa demande d'adhésion (1992) à l'Union européenne. Dans le cas où la Confédération aurait été candidate à l'Union, il aurait fallu poser la question aux citoyens suisses et le résultat aurait été sans appel : seuls les cantons romans et Bâle-Ville - qui ont voté contre l'interdiction des minarets - auraient accepté d'être intégrés dans l'Europe. La partie la plus européenne de la Suisse est justement celle qui ne craint pas les minarets et est aussi celle qui abrite le plus de musulmans, d'ailleurs originaires d'Europe centrale. Le débat suisse était faux.
Il est encore plus inhabituel de voir poser les termes du prétendu débat sur l'identité nationale en ayant recours à la citation d'un vote qui s'est déroulé après que le prétendu débat français a été lancé. Comme si le vote suisse devait légitimer rétrospectivement des interrogations qui n'ont pas lieu d'être. Dans le style lourdingue qu'on lui connaît, Henri Guaino a voulu trouver une accroche afin de développer ensuite amplement son pensum qui sent fortement l'introduction pataude d'un étudiant de première année de Sciences-Po. Commencer par raccrocher le sujet à une question d'actualité afin d'élargir ensuite, même si cela n'a pas vraiment de rapport. L'important, c'est de dire que l'on a posé une question et montré qu'on lit les journaux.
Seulement, le nègre présidentiel se trahit par son inculture des autres civilisations, notamment européennes : il ne s'agissait pas d'un référendum à la mode gaulliste, mais d'une votation et plus précisément d'une initiative populaire fédérale. Le référendum est demandé en Suisse par l'Assemblée fédérale, l'initiative populaire est demandée par un nombre de citoyens et de cantons. Les deux termes sont différents en Suisse, mais pour la plume présidentielle, c'est comme en France et rien n'a changé depuis des siècles. On n'a pas encore vu la queue d'un référendum d'initiative partagée en France depuis la réforme de la constitution, malgré la votation au sujet de La Poste. Mais quand les fausses questions sont posées en Suisse, elles sont plus légitimes que les questions posées en France au sujet de l'avenir des services publics.
Je signale au passage qu'il a existé une initiative populaire fédérale de même type qui a interdit l'abattage de bétail de boucherie sans l'avoir assommé au préalable. Elle a été votée en 1893. Voyons voir. Qui cela pouvait-il bien viser au nom de la lutte contre la souffrance animale ? Il n'y avait pas encore beaucoup de musulmans en Suisse pour exiger de la viande hallal avec égorgement de l'animal conscient, la tête vers l'Est ? Mais, mais... ce devait être donc des juifs ? La loi de 1893 interdisait de fait la viande cachère et maintenant elle interdit aussi la production de viande hallal. Elle s'applique toujours et les viandes rituelles proviennent toujours en Suisse de l'étranger, la France ou l'Allemagne. Sans le dire explicitement, on demandait l'application d'une politique antisémite ou visant à éliminer les juifs les moins intégrés à la communauté suisse qui se définissait par son christianisme avant tout. Ce qui était exigé, c'était l'abandon même de formes religieuses privées, voire de la confession, et mieux de la conversion. Disons-le, il s'agissait d'une forme de persécution douce avec des prétextes humanitaires. Tout en Suisse est fort poli. Mais on sait si bien y respecter son identité nationale (ses vaches, ses montagnes, son chocolat, ses montres de luxe et son secret bancaire). Un exemple d'intégrité !
J'en reviens à la fameuse tribune guainoïesque. Ce qui me frappe, c'est que l'on n'y parle que de religion, de croyance, de foi. Tout est défini par ce que l'on croit. Le droit à la non-croyance, au doute, au simple scepticisme, à l'indifférence ou à la diversité des attitudes en une personne n'est pas reconnu. Chacun est enfermé dans une bulle et surtout les opinions de libres-penseurs - agnosticisme, athéisme - sont totalement évacuées. Cela n'existe plus dans le délire tribaliste d'un Guaino qui répète à satiété "le peuple". Il faudrait sans cesse se situer en permanence comme la caricature de soi afin de refuser la caricature inexistante de l'autre. La question des minarets ou de la pseudo burqa est du même ordre : exagérer quelques comportements marginaux et leur importance afin de dresser les Français les uns contre les autres par leurs réactions.
Cela finira mal.