Détruire une systématique

Par Scienceblog

« M

oi, j’ai eu de la chance, parce que j’ai appris un autre métier, et qui m’a plu. Je l’ai fait de 1994 à 2003 à la Collection, que l’on appelle la chimiothèque. J’ai rencontré d’autres gens, des techniciens, des chercheurs. Ca donne un autre point de vue.

Nadine – Mais c’est vraiment pas correct, ce qu’ils t’ont fait à la fin.

Gisèle – Je préfère ne pas en parler.

N. – Je peux le dire à ta place si tu veux.

G. Non, je vais le dire, même si c’est pas facile. En 2003, les gens partaient, c’était fini, les laboratoires se vidaient. Les gens étaient envoyés à Vitry ou ailleurs. Tout le monde partait. Moi je ne pouvais pas suivre parce que je soignais Maman qui était malade. Parfois, je faisais l’aller et retour dans la journée, cinquante kilomètres. J’étais en poste transféré mais j’ai refusé Vitry. Alors il m’ont prolongé un an ici pour … pour jeter la Collection, la détruire. Détruire les produits, c’était …

N. Tu veux que je raconte à ta place, Gisèle ?

G. … détruire les gens.

N. Voilà, c’est dit.

G. Je jetais du travail … des gens. Sur l’étiquette, il y avait le nom de la structure, la formule brute, la référence du cahier de laboratoire et le nom de la personne. Des gens que j’avais connus et que je mettais à la poubelle. Une nuit, j’ai rêvé que je creusais un trou et que je mettais les gens dedans. Et les gens dans mon rêve, c’était les ceux que j’avais jeté le jour même, j’avais lu leur nom et je rêvais que je les enterrais. C’était pas des tombes, c’était un grand trou …

N. Voilà …

G. Si j’avais eu un pot de départ, je considère que ça aurait été une fin correcte, avec mes collègues autour, les plus jeunes qui auraient continué ce que moi-même j’aurais continué des plus anciennes. Ccedil;a aurait été triste, mais il faut ça. Tandis que là, ils ont mis nos vies de travail à la fosse commune.

N. Sans sépulture.