Nicolas Sarkozy a décidé de s'exprimer sur l'identité nationale, dans une tribune publiée par Le Monde madi 9 décembre après-midi. Le débat dérape, le Monarque réagit. Cette intervention révèle les limites de la gestion présidentielles: depuis des mois, Nicolas Sarkozy semble avoir perdu la maîtrise de l'agenda politique. A l'Elysée, le pouvoir s'est réorganisé en conséquence. Le Monarque veut reprendre le contrôle. Le récent départ d'Emmanuelle Mignon, ancienne directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy (de 2007 à 2008) est révélateur de cette évolution. Le carré des fidèles et des importants s'est resserré autour de son chef. La présidentialisation du régime ne souffre aucune exception, pas même dans les couloirs de l'Elysée.
Sarkozy intervient...
En intervenant sur l'épineux débat de l'identité nationale, Nicolas Sarkozy amorce un vrai recul: ce débat - tout le monde l'a reconnu - était un vacarme électoral qui visait à solidifier son camp à droite. Il l'a contraire clivé et déstabilisé. Le spectre d'un regain d'influence du Front National refait surface. L'affaire des minarets suisses a achevé de plomber la démarche. Mardi 9 décembre, Nicolas Sarkozy a tenté de prendre de la hauteur: "chrétien, juif ou musulman, homme de foi, quelle que soit sa foi, croyant, quelle que soit sa croyance, chacun doit savoir se garder de toute ostentation et de toute provocation et, conscient de la chance qu'il a de vivre sur une terre de liberté, doit pratiquer son culte avec l'humble discrétion qui témoigne non de la tiédeur de ses convictions mais du respect fraternel qu'il éprouve vis-à-vis de celui qui ne pense pas comme lui, avec lequel il veut vivre". Alors que le questionnaire préparé par Eric Besson et ses conseillers pour inspirer les débats "locaux" organisés par les préfets et sous-préfets de la République posait des questions "qui fâchent", assimilant globalement l'immigration à un problème ("pourquoi intégrer les ressortissants étrangers accueillis dans notre République ?", Notre Nation est-elle multi-culturelle ?" ;"notre République est-elle multi-culturelle ?"; "l'ouverture aux échanges menace-t-elle l'identité nationale ?") Sarkozy veut calmer les esprits en rappelant que "l’ouverture aux autres est un enrichissement". Mais le Monarque échoue. Ces propos ajoutent au trouble. Très vite, le président français affirme dans sa tribune qu'il faut comprendre le "peuple" ("La référence au peuple, c'est déjà, pour certains, le commencement du populisme"), que les "minarets" seraient "ostentatoires". Patatras !
Sarkozy voulait reprendre contrôle d'un débat qui lui échappe. A l'Elysée, le contrôle est plus certain.
Autour du président, Claude Guéant tient un rôle plus que central. Le départ de Mme Mignon, l'une des têtes pensantes du programme sarkozyen de la campagne de 2007, a suscité quelques nouveaux commentaires sur le processus décisionnel à l’Elysée : Claude Guéant, le secrétaire général, est bien le grand vizir. Lui rapportent les politiques étrangères, économiques et sociales, avec, pour chacune d’elle, un conseiller présidentiel bien placé : Jean-Daniel Levitte, le Sherpa ; Xavier Musca pour les finances, et Raymond Soubie, pour le social. "L'Elysée passe d'une organisation en tuyau d'orgues, où chacun donnait son avis, à une organisation plus pyramidale et centralisée. C'est nécessaire et bienvenu, car la difficulté principale, à l'Elysée, est de formuler une politique cohérente" a expliqué au Monde un « proche du gouvernement ».
Henri Guaino a quelque souci à se faire. Ses interventions deviennent des commentaires aigries d’un conseiller sur le carreau : voulait-il un grand emprunt à 100 milliards d’euros ? Ce dernier sera de 35 milliards. L’ancien gaulliste multiplie-t-il les références au Conseil National de la Résistance ? Qu’importe ! C’est Eric Besson qui est la manœuvre pour lancer le débat sur l’identité nationale. Guaino n’est là que pour commenter les dérapages xénophobes et la vacuité du débat.
Au passage, Mme Mignon a pu partir simplement, et, sans risque, retrouver poste et salaire aux frais du contribuable, au Conseil d'Etat. La semaine dernière, déjà, on avait appris qu’Henri Guaino avait conservé sa rémunération du Conseil d’Etat. Près de 160 000 euros annuels ! Le Conseil d’Etat a beau jeu. Ces proches du président expliquaient à longueur de journées et de campagnes combien la France doit se remettre au travail, favoriser la prise de risque de l’entrepreneur, rompre avec les tentations de l’assistanat. On comprend aujourd’hui que ces « conseils » devenus politique d’Etat ne s’appliquaient pas à eux. Deux poids, deux mesures.
... contre des ministres dans la surenchère
Cette reprise en main, médiatique et en coulisses, de l'agenda politique par Nicolas Sarkozy a un bénéficiaire inattendu: François Fillon. A deux reprises, le premier ministre a remplacé son patron de président lors de manifestations publiques délicates : devant le Congrès des Maires de France, puis pour clôturer un débat mal embouti sur l’identité nationale à l’institut Montaigne vendredi dernier. D’aucuns y voient la preuve que Fillon a peut être trouvé sa voie : de figurant, il est devenu doublure. Quel progrès institutionnel ! La vraie victoire de Fillon est qu’il reste le mieux placé … pour son propre poste en cas de remaniement post-élections régionales, selon divers sondages. Pour le reste, sa cote d’impopularité reste quasiment aussi élevée que celle de son patron.
Les ministres, eux, n'existent désormais que dans la surenchère. C'est bien le problème du chef de l'Etat. Eric Besson s'est ainsi placé, en l'espace de quelques mois, au premier plan de l'échiquier politique UMPiste. Son récent débat sur l'identité nationale, mal pensé, mal posé, mal contrôlé, vire sans doute au désastre xénophobe. Mais le ministre de l'identité nationale s'en fiche. Il s'est placé dans le premier cercle. Christian Estrosi lui a rapidement emboité le pas. Maire de Nice, il a édicté un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans non accompagnés entre 23h et 5h du matin, en semaine, et ce, jusqu'à fin mars 2010. Une preuve de Sarkozysme aigüe. Christian Estrosi est un clone de Frédéric Lefebvre, la culture sans doute en moins. Il y a 15 jours, le voici qui suggérait que le débat sur l'identité nationale aurait pu éviter aux Allemands de l'entre-guerres de plonger dans le nazisme et la guerre mondiale. Rien que cela.
La surenchère n'a pas de limite en Sarkofrance.
L'identité nationale contre la WW2
par liberation