J’ai été tagué par le Chafouin, mon confrère Kiwi, sur un thème ô combien croustillant puisque d’actualité : la laïcité. En gros, il me demande ce que j’en pense, compte-tenu de la place des religions en France, actuellement : la laïcité doit-elle conduire à repousser le religieux hors de l’espace public ?
Avant de donner toute mon opinion, je formulerai d’abord un constat : si la pratique de l’état tend à séparer le laïc du religieux, ce dernier a fort bien réussi son implantation dans bien des aspects plus ou moins flagrants de notre existence de tous les jours.
Dans le langage, ainsi, on ne compte plus les références bibliques et les appels à Dieu (que ce soit en louanges ou en jurons). Dans nos gestes quotidiens, sans parler de certains qui se signent lorsqu’un malheur arrive, beaucoup de nos références communes sont basées sur des faits historiques fortement tintés de religion; on peut penser par exemple à la charge mystique du vendredi 13…
Dans tous les pays, on trouve très vite, dans les grandes et les petites agglomérations, des lieux de cultes. Ils sont visibles, certains même ostentatoires. Beaucoup façonnent le paysage.
Tout ceci est parfaitement logique : la religion est une des pièces maîtresse qui a façonné, littéralement, l’humanité. On estime à juste titre que l’Homme a commencé à se détacher de sa condition animal à partir du moment où celui-ci à enterré ses morts, acte éminemment religieux s’il en est.
Le religieux est donc partout, plus ou moins visible, plus ou moins présent, mais bel et bien ancré non seulement dans nos mœurs, nos habitudes, mais représente la trame la plus profonde de ce qui tisse l’Humanité.
Dès lors, la laïcité française est quelque chose de très particulier puisqu’elle vise à détacher complètement ce que les gens font, la façon dont ils s’habillent, les sujets qu’ils abordent ou les lieux qu’ils fréquentent de la religion, qui ne doit être pratiquée, comme le souhaiterait Sarkozy, qu’ »avec l’humble discrétion … qui témoigne du respect fraternel vis-à-vis de celui qui ne pense pas comme lui et avec lequel il veut vivre« .
Comme le souligne fort justement Chafouin, cette laïcité-là est particulièrement fort de café puisqu’elle suppose que la vue d’un crucifix dans un édifice admettant du public peut influencer un honnête athée et le pousser (horreur !) à embrasser bêtement la religion catholique sur un coup de tête, une perte de repère ou – pire encore – un malentendu.
Mais en réalité, ce que loupe Chafouin dans son analyse au demeurant juste (mais, donc, incomplète), c’est que cette forme ultime de laïcité où le moindre signe religieux est pourchassé pour cause de forte influençabilité, c’est, en soi… une religion : celle de l’état.
Dès lors, ce à quoi on assiste, et il ne faut pas s’y tromper, est un combat homérique entre l’Etat et l’Eglise dans un premier temps, puis l’Islam dans un second, dès lors que celui-ci prend de l’importance dans le pays.
Ce combat dispose d’un côté officiel, qui est, justement, la recherche de la laïcité chimiquement pure, où chaque pratiquant religieux a le droit d’exister mais se retrouve essentiellement confronté à lui-même et encore, dans son coin, discrètement, et, lorsqu’il veut se rassembler avec d’autres pratiquants – un peu honteux -, doit le faire dans un cadre de préférence à l’écart, loin des athées, agnostiques et laïcs influençables qui pourraient passer par là.
Le côté officieux, c’est l’absolue nécessité de pouvoir rigoureusement contrôler tout ce qui se passe sur le territoire, et bien sûr, dans les têtes, ni plus ni moins. Un rassemblement de gens mus par la foi, c’est, très concrètement, un groupe de personnes qui, le cas échéant, sont prêtes à se battre pour – gargl ! – des valeurs autres que la République, la Démocratie, la Non-Discrimination Joyeuse, ou le <Thème A La Mode> (insérer ici Réchauffement Climatique, Lutte Contre les OGM, Abandon du Nucléaire, le Dégenrage Festif et la Distribution de Capotes Colorées, la Taxation des Riches, Le Service Public, etc…)
Et ce combat est d’autant plus âpre que les personnes concernées ne se laissent pas faire et sentent bien qu’au final, on leur retire quelque chose qui leur servait bien : comme je l’ai mentionné plus haut, la religion n’est pas seulement une facette de la société ; elle en a, depuis la nuit des temps, été le ciment, la fondation maîtresse. Ce que je dis ici n’est pas une simple élucubration d’un croyant (ou pas, peu importe ce que je crois, ou je pense, ici), mais bien un fait historique avéré.
Et comme la réponse est vive, de l’autre côté, la laïcité de combat devient une réponse épidermique elle aussi typiquement religieuse : on assiste au combat des religions spirituelles contre la religion étatique. Là où le Dieu des chrétiens, des musulmans ou des juifs entend régler le sort des morts et servir de colonne vertébrale aux lois des vivants, le dieu Etat prétend se charger de fournir, ici et maintenant, une réponse aux problèmes qui lui sont posé.
D’un côté, aide toi et le ciel t’aidera, et de l’autre, subventions et assurance maladie, chômage, vieillesse. La symétrie est troublante, non ?
Evidemment, les paradigmes qui sous-tendent ces deux interprétations auront des conséquences sur la vie de tous les jours. On peut d’ores et déjà noter que les églises « traditionnelles » (3800 ans pour la juive, 2000 ans pour la chrétienne, et 1400 pour la musulmane) partent avec un sérieux avantage de robustesse. Des milliards d’humains ont pu tester. Côté Etat, évidemment, le résultat étant par définition mesurable du vivant des personnes, l’engouement est notoire. Au début. Mais, après quelques dizaines d’années, on note un essoufflement. Le dieu Etat a des petits bras, finalement, et il déplace moins bien les montagnes…
Pour conclure, je dirais que la France, Sarkozy en tête (mais on est habitué, maintenant) s’est lancée dans une quête aussi vaine que délétère, qui vise effectivement à bouter le religieux hors du champ public, tout simplement parce que l’Etat est ici en concurrence directe avec les Eglises. C’est un problème très franco-français (et ce fut un problème de tous les régimes socialistes) : l’état grossissant toujours plus, il arrive un moment où, fatalement, il empiète sur le territoire conceptuel de la religion.
Le problème ainsi posé devient non pas de définir la place de la Religion dans la vie publique ou privée, mais bel et bien la place qu’on doit accorder à l’Etat dans la société.
Réduisez cette place, et les problèmes de laïcité disparaîtront. Des millions de personnes dans des dizaines de pays peuvent en témoigner.