(dépêche)
L'opinion du socialiste Georges Sarre sur l'identité nationale
Identité = souveraineté, par Georges Sarre
Point de vue
LEMONDE.FR | 08.12.09 | 11h43 • Mis à jour le 08.12.09 | 11h53
Dans la République, l'identité nationale se confond avec la citoyenneté, impliquant l'exercice en commun de la souveraineté. Si celle-ci est ignorée, livrée à quelque instance supranationale, si
donc la nationalité est déconnectée de la citoyenneté, il ne reste plus que l'ethnicité. Voilà pourquoi le débat sur l'identité nationale, proposé par le président de la République, piège tous
ceux qui acceptent le traité de Lisbonne, et par-là même atteint son objectif premier, son objectif politicien. Mais voilà aussi pourquoi ce débat peut se retourner contre son initiateur, si les
républicains sont suffisamment forts pour y faire entendre la conception française de la nation, pour isoler les quelques tenants de la conception allemande, qui se situent à l'extrême droite de
l'éventail politique.
Une trop grande partie de la gauche est paralysée de peur devant le mot "nation", oubliant qu'il est à la racine même d'"internationalisme". Et l'internationalisme, loin d'être la négation des
nations, est la coopération entre les nations, mais entre des nations souveraines, des nations dans lesquelles les peuples s'expriment librement. Cette gauche craintive croit pouvoir dissoudre
les nations dans des ensembles plus ou moins artificiels, dans lesquels les peuples sont sommés de voter conformément aux exigences de couches dirigeantes cooptées. Si un peuple n'obtempère pas,
il est condamné soit à revoter jusqu'au moment où il se conforme, comme en Irlande, quitte à lui faire quelques concessions formelles, soit il est contourné, comme en France. Ainsi, la volonté du
peuple français exprimée le 29 mai 2005 a été bafouée par le Congrès le 4 février 2008.
A partir du moment où la France n'est plus l'expression d'une volonté politique souveraine, à partir du moment où l'objet même de l'espace public devient flou, les Français, quelles que soient
leurs origines culturelles et géographiques, ne trouvent plus dans la citoyenneté le support à leur intégration dans la collectivité nationale. Pour légitimement se donner une identité qui
dépasse leur propre personne, ils sont contraints de puiser dans leur sphère privée, faisant appel à la religion, à l'origine ethnique ou à tout autre critère qui, en France, appartient au
particulier de chacun. Alors, les nouveaux Français, et les anciens, ne voient plus que les différences, souvent les plus superficielles, qui les séparent entre eux. Il ne leur reste plus que le
repli communautariste. Pour les Français immigrés ou de parents immigrés, ce communautarisme permet de combiner leurs liens avec leurs "compatriotes de là-bas" et un étroit localisme limité au
lieu d'habitation.
Si la souveraineté inclut la coopération sous forme intergouvernementale, elle exclut la démarche européenne dite communautaire. Dans la République, pour qu'une décision s'impose au peuple
français, il faut que les instances qu'il a démocratiquement désignées à cet effet aient dûment et librement approuvé ladite décision. Une directive européenne devrait pouvoir être amendée par le
Parlement français. Les décisions des cours de justice supranationales devraient être indicatives, et non impératives.
Mais il ne suffirait pas que les citoyens aient enfin retrouvé leur capacité à agir sans contrainte extérieure dans l'espace public. Il faut encore qu'ils soient fiers de leur citoyenneté, qu'ils
soient fiers de la nation à laquelle ils appartiennent, non pas au détriment des autres, mais en connaissant l'histoire dont ils sont les héritiers. La fierté républicaine ne repose pas sur le
sang, sinon sur le sang versé pour la liberté. La fierté républicaine repose surtout sur la culture, dont les citoyens doivent être les promoteurs et les défenseurs. Cette culture dont tout
citoyen français est l'héritier simplement parce que juridiquement il est citoyen français. Or, précisément, en ce moment même, le gouvernement porte un nouveau coup à l'enseignement de
l'histoire, la discipline qui permet de comprendre que l'identité nationale, en France, ne repose pas sur la génétique, mais sur le politique. Pour appréhender le débat public, sinon y
participer, un citoyen doit au moins se percevoir dans une continuité temporelle, qui lui permet d'envoyer son arbre généalogique dans sa sphère privée.
Il faut donc ouvrir les portes de ce débat sur l'identité nationale, ne pas les laisser coincées dans l'opération électoraliste où voudrait les confiner le président de la République, ne pas
laisser la patrie, notre bien commun le plus précieux, dans des marécages peu ragoûtants. Au contraire, la question nationale doit prendre toute son ampleur pour interroger et modifier la
politique française dans son ensemble, pour la remettre à l'endroit, pour maintenir l'intime fusion entre identité nationale et identité républicaine. Alors, seront traitées dans un même
mouvement la question nationale et la question sociale, parce que le problème des quartiers dits sensibles est à la fois celui du chômage et celui de la culture. Et la France ne retrouvera le
chemin de l'emploi que par une politique volontariste de réindustrialisation, politique qui demande que les nouvelles productions, quelles qu'elles soient, soient protégées, au moins dans un
premier temps. Le grand emprunt n'a de sens que s'il sert à investir dans des industries permettant d'assurer l'avenir et de rééquilibrer la balance commerciale.
Mais, alors, il faut remettre en cause les dogmes libre-échangistes du FMI, de l'OMC et de l'Union européenne. Mais, alors, il faut que le peuple français retrouve sa pleine souveraineté. Ainsi
donc, ce débat sur l'identité nationale est soit une politicaillerie qui confine à la canaillerie, soit à l'inverse, si les républicains s'en emparent, le prélude à une véritable modernisation de
la France.
Georges Sarre est ancien ministre, adjoint au maire de Paris, chargé de la sécurité et de la prévention