En cette « journée des étudiants » - célébrée, chaque année, en souvenirs de trois étudiants anti-américains tués à l'époque du chah -, les autorités avaient mis les bouchées doubles pour empêcher que la commémoration officielle soit détournée par l'opposition iranienne. Dès 5 h 30 du matin, les forces de l'ordre étaient déjà déployées aux alentours de l'université de Téhéran, un des épicentres de la contestation. Pendant tout le week-end, l'Internet - véritable médium de l'opposition - avait fonctionné en dent de scie. En prévision d'une éventuelle flambée des campus, de grandes banderoles accrochées aux grilles empêchaient les passants trop curieux de s'entretenir avec les étudiants, bloqués dans l'enceinte de l'université. « L'ambiance n'a jamais été aussi tendue » , confie Reza, un journaliste iranien, contacté sur place.
Mais à la surprise générale, les slogans antirégime, d'abord timides, se mettent progressivement à résonner à travers la ville. Dans les rues, de petits attroupements s'organisent. Très vite, les manifestants - plusieurs milliers, selon les témoins - sont pris à partie par la police, épaulée par les bassidjis - les miliciens islamiques. « Mais à chaque arrestation, les protestataires encerclent la police pour tenter de libérer la personne interpellée » , confie un témoin. « L'Iran est devenu une prison, Evin est devenue une université ! » , crie la foule, avec un soupçon d'ironie et de défiance envers le système répressif. Tout un symbole...
« Au lieu d'étouffer la contestation, la répression est en train de la renforcer et de la radicaliser » , relève un sociologue iranien, qui préfère garder l'anonymat. En trente ans de République islamique, il n'a jamais vu ça. Parti d'une simple contestation, mettant en cause la victoire d'Ahmadinejad, le 12 juin dernier, et dénonçant la « fraude électorale » , le mouvement de protestation s'apprête à fêter son sixième mois. « Au début, les Iraniens criaient : "Où est notre vote ?", en réclamant un nouveau scrutin. Aujourd'hui, c'est le système de la République islamique, dans son intégralité, qui est remis en cause par certains manifestants » , poursuit-il. Nouveau phénomène : à la nuit tombée, des graffitis hostiles à Ali Khamenei, le guide suprême, font leur apparition sur les murs.
D'abord cantonnée à Téhéran, la mobilisation est également en train de déteindre en province. Hier, les vidéos qui circulaient sur YouTube faisaient état de rassemblement à Mechhed, Tabriz ou encore Kermanchah. Sur l'une d'entre elles, on pouvait voir un étudiant tenir un drapeau aux couleurs de l'Iran, privé de son logo central - la calligraphie du mot « Allah », symbole de la République islamique. Si l'opposition reste largement désorganisée, les dissensions internes commencent à paralyser le système politique. « Le fossé (entre différentes factions) ne cesse de se creuser » , s'inquiète l'ex-député Saeed Aboutaleb, dans les pages du quotidien réformiste iranien Etemad. « Plus le temps passe et plus les problèmes s'aggravent » , dit-il.
Dans une déclaration relayée, hier, par l'agence de presse Ilna, un grand ayatollah conservateur, Nasser Makarem Shirazi préconise un « dialogue avec l'opposition » , pour « calmer le climat politique » . Mais pour la jeune Negar, pas question de sacrifier le mouvement au nom d'une « unité de façade ». « Notre mouvement n'est pas un sprint, c'est un marathon » , prévient-elle.
Crédit photo : Reuters.