Voilà plus de trente ans que les artisans en réclamaient la création. Voilà seulement un an qu’Hervé Novelli en affine le projet en consultant le monde des entreprises. C’est finalement M. Fillon, qui, lors d’un déplacement dans le Bas-Rhin, à l’occasion des 110 ans de la chambre des métiers et de l’artisanat d’Alsace, a lancé officiellement, la création de l’ « entreprise à patrimoine affecté » (EPA) ou encore de l’ « entreprise individuelle à responsabilité limitée ».
Récemment remise au goût du jour à l’initiative de François Hurel, actuel président de l’Union des Auto-entrepreneurs, et par Xavier de Roux, avocat, l’idée consiste ni plus ni moins à protéger les petits créateurs d’entreprises en conciliant (apparemment) l’inconciliable : séparer les patrimoines personnels et professionnels sans recourir à la technique de la personnalité morale, c’est-à-dire sans avoir à créer une société.
Dans une vision cantonnée à une dichotomie faisant le départ entre l’entreprise individuelle d’un côté et la société de l’autre, il n’y avait pas de place pour le concept de patrimoine d’affectation. C’est ce que tente justement aujourd’hui de dépasser le gouvernement, et ce, pour favoriser la sécurité des petits entrepreneurs, maillons essentiels à notre économie.
Une personne physique pourrait ainsi affecter exclusivement à son activité des biens, des droits ou des sûretés nécessaires à la réalisation de l’objet de l’entreprise. Une fois créé et immatriculé, le patrimoine professionnel aurait pour but de répondre, à l’exclusion de tout autre bien et droit de l’entrepreneur, des seules créances nées de l’activité pour laquelle il aurait été constitué. L’entrepreneur serait ainsi à la tête de deux patrimoines, tout en restant propriétaire de chacun des biens qui les composent et sa responsabilité financière en tant que chef d’entreprise serait ainsi limitée aux seuls actifs dédiés à son activité professionnelle.
Prenez par exemple un jeune homme plein d’idées désirant créer son entreprise. Peu adepte des questions juridiques, il ne souhaite pas recourir à la forme sociétaire pour exercer son activité. Mais, il est également frileux à l’idée de devoir engager tout son patrimoine personnel, s’il choisit d’exercer en tant qu’entrepreneur individuel. Jusqu’à présent, aucune alternative ne lui était offerte.
L’EPA semble être faite pour lui : ce n’est pas une société (pas de statuts, pas de personnalité morale, pas de capital…), mais il est quand même protégé en ce sens que tous les biens qu’il aura affectés, mais seulement ceux-ci, pourront servir de gage à ses créanciers. Autrement dit, si son expérience entrepreneuriale est un échec qui le conduit à mettre la clé sous la porte, le chef d’entreprise déçu ne subira pas de double peine : son patrimoine personnel, et donc celui qui contribue au bien être de sa famille, sera protégé, et cela même si les biens affectés à l’entreprise ne sont pas suffisants pour désintéresser en totalité les créanciers professionnels.
Sous cette simplicité apparente, de nombreux points techniques devront être précisés, jaugés, discutés, afin de garantir autant que possible une sécurité juridique tant pour l’entrepreneur lui-même, que pour ses partenaires. Car, il faut bien le dire, ce mécanisme est moins simple qu’il n’y paraît et ne sera efficace que s’il génère une confiance tout le long de la chaîne économique.
C’est pourquoi, dès le moins de juin, Monsieur Gérard Delmas, rapporteur d’une étude sur ce thème, au nom de la CCIP, avait fait valoir que les facteurs clés du succès de l’EPA résident prioritairement dans l’instauration d’une séparation stricte des patrimoines, un mécanisme souple et peu coûteux et enfin des fonds propres renforcés.
Vision pragmatique des choses, diront les uns. Utopique, dirons les autres. Il n’en reste pas moins que l’EPA peut au moins être considérée comme un outil supplémentaire au service des entrepreneurs individuels, qui sont justement fort peu dotés en la matière alors que les plus grandes entreprises ont tout un arsenal pour organiser leur patrimoine et protéger leurs dirigeants. A l’analyse, on s’aperçoit en effet que l’entreprise individuelle, modèle économique préféré des français, est pourtant celui qui est le moins abouti juridiquement !
Voyant comment nos concitoyens s’emparent favorablement des mesures facilitant l’entreprenariat individuel, l’EPA bénéficiera t’elle du même phénomène de société qui a profité à l’auto-entreprise ?