Il faut dire que le disque ne perd pas de temps pour entrer en matière, en alignant deux monuments en première ligne, le désespéré et bien nommé "Love is blind" suivi par la superbe tentative de récupération ratée (et encore une fois bien nommée) "Don’t you want me anymore". Pour la première, les retrouvailles avec le groupe depuis cinq ans sont directes. Une ligne de basse, un lyrisme crescendo, et des sonorités toujours un peu kitsch, comme l’amour finalement. Assimilé à une sorte de glam new rave à sa sortie, Separations propose quelque chose de vraiment original. Et bien-sûr, Jarvis qui chante, ou plutôt qui parle, qui débite même. Et qui balance ces "Nanana" désespérés tel un loup qui hurlerait à la lune. Qui n’est pas pris en étaux par ce chant n’a pas de cœur. Et la deuxième donc, ce refus de la réalité, classique étape du cycle du deuil : le marchandage. Jarvis se dirige vers son ex et compte lui montrer "qui est le maître". Ces paroles sont tout simplement parfaites : "You’re gonna love me, more than ever / And the sun will shine again / And I will kiss you face, and I will make you smile again". La suite : "Oh no I can’t, I can’t believe what’s happening / There must be some mistakes / You find yourself another lover, and you’re glad we made the break". Jarvis ne chante pas, il joue son personnage comme au théâtre. Hélas on sait sa tentative vouée à l’échec.
Ensuite dans Separations il y a d’autres morceaux passionnants et romantiques. "She’s dead" par exemple, incroyable de mélancolie, mais aussi "Down to the river" et sa tristesse absolue. Il y a aussi "My legendary girlfriend" ce morceau bancal et discoïde, avec une intro que l’on croirait tirée d’un Barry White. Une musique étrange, avec des souffles rauques, des cris et des sifflements, qui ont eu tellement de portée qu’un groupe s’est nommé comme ça. Après toutes ces présentations, il reste encore les trois derniers morceaux de bravoure de l’album. Trois titres monstrueux, à commencer par "Countdown". Encore une fois ce son disco, et un Jarvis qui continue d’endurer les dix plaies d’Egypte. Il prend la réalité en pleine figure et sait que son heure est comptée. Le nouveau Scott Walker en mode voûté et longiligne déballe ses détails cyniques sur la rupture et en fait des hymnes nostalgiques à toute épreuve, y compris celle du temps.
"Death II". Un titre à damner un Saint. Le sommet du disque. Maintenant Jarvis est seul, il erre dans les bars pour boire et draguer, mais il n’y arrive pas et continue d’enchaîner les moments de galère et d’insuccès : "I must have died a thousand times / the next day I was still alive / And I still believe in you". Le constat est amer : "Oh I was nothing when you came, and no one now you go away". En fait chaque parole est importante (et oh Bonheur, intelligible et dans un bel anglais), tel un récit bien écrit. Koudlam aurait pu faire ça avec ses synthés. En voiture balai, "This house is condemned" enfonce le clou d’une électro hypnotisante presque anachronique par rapport au reste du disque, et vient clore 48 minutes de rupture en musique. Vous avez dit sado-maso ?
En bref : il fallait bien ça pour souligner la naissance d’un groupe important des années 1990, Separations est pour moi parfait de bout en bout, de la pop discoïsante scandée, que dis-je, vécue par un Jarvis Cooker alors au sommet de lui-même, bien malgré lui. L’autodestruction n’a jamais été si mélodieuse.
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"Don’t you want me anymore" et "Death II" :