Auteur : Anne-Catherine Blanc
Éditeur : Au Vent Des Iles
1ère édition : 2002
Nb de pages : 175
Lu : Décembre 2009
Ma note :
Résumé :
Moana, c’est le bleu absolu que prend l’océan quand le regard plonge vers l’abysse, vers le vertige sans fond qui s’ouvre au-delà du lagon, passé le récif-barrière. Moana, c’est la matière bleue, à la fois aussi présente au plongeur que sa conscience et aussi désespérément fuyante, aérienne et douloureuse.
Plonger dans le bleu, c’est la petite mort, le renoncement à l’être. C’est devenir soi-même, pour quelques instants d’éternité, onde traversée d’ondes, corps liquide et bleu. C’est perdre d’un seul coup les repères qui rassuraient. Le regard se noie dans le bleu, se voile au bord du vertige et se détourne en hâte vers la mosaïque familière du tombant ou le miroir brisé de la surface. Remontée hâtive, comme si le plongeur venait d’échapper à un risque. À la tentation de son propre gouffre.
Au-delà du moana le bleu devient noir. C’est ‘ere’ere, le bleu noir qui précède les ténèbres. ‘Ere’ere signifie aussi hématome. C’est la couleur des chairs meurtries, éclatées sous la pression, quand le gouffre recrache l’enveloppe. Quand le plongeur s’est uni à l’océan en se fondant à la matière, enfin apaisé, lui-même liquide et bleu.
Moana, c’est aussi un prénom.
Mon avis :
J’ai récemment été bien remuée et épatée par L’astronome aveugle du même auteur, là, je suis carrément envoûtée. Le genre introspectif n’est pas spécialement ma tasse de thé, et pourtant là de l’introspection, on en a !
Le récit démarre en début de journée, aux aurores, dans l’atmosphère moite et suffocante de la Polynésie. Le narrateur, dont l’esprit s’éparpille savamment entre monologue et déclarations à ses proches, s’apprête à enterrer son beau-fils, adolescent amateur de surf et de plongée. On découvre au fil de la journée les questionnements de Paulot, qui se remet sans cesse en cause et nous restitue du même coup de multiples informations qui nous en apprennent beaucoup sur son univers, son passé, sa vie de famille. Le personnage de Paulot inspire une empathie totale, le style sec et viril de l’auteur colle parfaitement au personnage, ancien prof reconverti en chef d’entreprise. Paulot est visiblement un individu sensible, fragile, et son langage contraste avec son état émotionnel qui tout au long de l’histoire reste en suspens, car Paulot fait office de figurant, n’étant « que le beau-père », originaire de métropole de surcroit, et qui cherche sa place dans ce terrible deuil, osant à peine exprimer son chagrin.
Une construction habile et originale, un style jubilatoire, très masculin, une histoire touchante (euphémisme !), une montée en puissance de l’émotion subtilement dosée, pour un final d’une rare sensibilité et d’une force peu commune. Je suis parfois touchée par certaines lectures très émouvantes mais je l’ai rarement été à ce point-là. L’astronome aveugle apportait son lot d’émotion mais celle-ci se situait dans la beauté poétique du propos, tandis qu’avec Moana Blues l’émotion est plus viscérale, plus profonde, plus personnelle. Je pense que la dernière fois que j’ai été remuée de la sorte c’est en terminant Pêcheurs d’Islande de Pierre Loti.
La symbolique du moana, de la profondeur des mers à l’immensité du ciel, un voyage à travers l’humain dans toute sa complexe immensité.