Les chutes de Joyce Carol Oates

Par Sylvie

Prix Fémina, 2005


Editions Philippe Rey
L'un des plus gros succès critiques et public de l'un des écrivains américains les plus prolifiques. Une construction très classique, contant l'histoire d'une famille sur une trentaine d'années. Oeuvre assez différente des autres titres que j'ai lus de cette auteur, qui choisit cette fois-ci de traiter d'un scandale politico-social dans les années 70.
Mais le talent de Oates réside dans le fait qu'elle mêle savamment le drame intime, le pur drame romanesque à une fine analyse de la société de l'époque.
Tout d'abord, un pur mélodrame romantique: Ariah, une jeune fille de 19 ans part avec son mari en voyage de noces au bord des chutes du Niagara. Le matin, après une nuit de noces quelque peu perturbée, la jeune mariée découvre un mot de son mari...qui vient de se suicider, rongé par la culpabilité et attiré comme un zombi par les chutes maléfiques....
Quelques semaines après, elle se remarie avec Dick Burnaby, un brillant avocat, tombé amoureux d'elle alors que l'on recherchait le corps de son mari...
Mariage maudit par la désapprobation générale...Le couple vit un amour fou pendant quelques années...puis brusquement, le roman prend une toute autre tournure pour aborder un drame politico-social. Derrière le cadre touristique idyllique du Niagara, se cache une vallée industrielle très dynamique, l'un des fleurons national de la chimie.
Depuis quelques temps, les familles de ouvriers décèdent de cancers, de pneumonie...Une association se crée. L'élite économique et politique bien-pensante de la région prétexte l'alcoolisme et le tabagisme mais un jeune femme, dont l'enfant est mort, convainc Dick Burnaby, de défendre sa cause. Il découvre que dans la vallée, près des lotissements et d'une école, des déchets radioactifs sont enterrés...
Il part alors en croisade contre toute l'élite de la contrée et met à jour un réel scandale écologique et sanitaire ; mais à ses dépends, il devient la bête noire de toute la contrée. On l'accuse d'avoir une liaison avec la jeune ouvrière. Ariah, qui se désintéresse complètement des affaires de l'époque, le renie ; il meurt dans un accident de voiture, son corps tombe dans le Niagara. Deux ans plus tard, ces enfants démêleront le secret de sa mort....
Ariah, l'héroïne, fait penser à ces grandes romantiques du 19e siècle : jeune femme écervelée, névrosée, elle se réfugie ensuite dans son foyer, entourée de ses trois enfants. Héroïne instable, passionnée, uniquement intéressée par ses enfants et ses cours de piano, elle se réfugie dans son univers domestique, ne comprenant pas et se désintéressant complètement des engagements de son mari. Cette héroïne énerve le lecteur au plus haut point ; pour elle, Dieu l'a reniée ; la code raide du destin peut chuter à tout moment ; le nom des Burnaby est maudit. Les chutes du Niagara incarnent, pendant toute la longueur du récit, cette force du destin, ce torrent de vie contre lequel nous ne pouvons lutter.
Dick, quant à lui, incarne la résistance, à ses risques et périls....
Les chutes, physiques ou symboliques, sont le leitmotiv du roman : le suicide, la malédiction, la mort...Ce roman fait connaître cette région du Niagara méconnue en abordant son importance économique mais aussi toute son histoire symbolique : les grands mythes indiens, l'histoire chrétienne des apparitions de la vierge et des pèlerinages, les sacrifices et les suicides.
Elles incarnent le destin humain, ce qui fait que cette histoire devient universelle ; elle donne une ampleur éminemment romanesque et mélodramatique à cette histoire, frôlant parfois avec le fantastique : le texte regorge d'apparitions fantasmées ou nom (la rencontre de la veuve dans le cimetière, la vision des nageurs qui sont en fait des noyers, les voix des morts....)
Un roman de facture très classique, assez hypnotisant, mêlant drame intime et une analyse fine d'une société malade ; Oates de dénonce rien ; elle montre juste les méfaits du puritanisme et une société gangrènée par l'appât du gain. On appréciera son ton très ironique, qui n'hésite pas à se moquer de son personnage principal, en se jouant par exemple des clichés du cinéma mélodramatique.