«Comme dans n’importe quel métier d’homme, la nuit a ses apprentis, ses voyageurs, ses traînards, ses égarés, ses disciples, ses pigeons, ses figurants… Le bistrot est là, premier échelon à franchir, et auquel on ne résiste pas. Pourquoi lui résister, après tout. Depuis la fermeture des bordels, le bistrot est ouvert la nuit. Le solitaire a beau être un solitaire, le bistrot-tabac, telle une fille, cligne l’œil rouge de sa carotte, et son appel ne laisse jamais insensible, et puis il faut en passer par là. […] Hommes de la nuit, ils sont là, faciles à voir, à reconnaître, du plus petit au plus grand, traînant tous les rades les uns après les autres comme si la farce était réglée à l’avance. Une lumière s’éteint, une autre s’allume et la remplace. La nuit a quelquefois aussi ses heures de fermeture. C’est ce qui est grave, le tout est d’en profiter au maximum, après on verra.»
Robert Giraud n’est pas sérieux, c’est ce qu’en dit Robert Doisneau. Robert Giraud traîne sa silhouette le long des quais, renifle l’odeur de céleri des Halles et brûle ses nuits au bistrot. Chez Fraysse ou chez Paulô, assis au zinc devant un beaujolais, il raconte les histoires d’un Paris perdu, d’un Paris insolite sur le ton d’une simple conversation et avec le langage des rues mal éclairées. Dans ces histoires qui n’ont pour thèmes qu’amour, argent et honneur s’illustrent des personnages, écorchés et mythiques. Mais ne subsiste finalement qu’un acteur : le vin, sérum de vérité, qui délie les langues.
Robert Giraud, provincial de Limoges destiné à une carrière de notaire monte à Paris au milieu des années 40 et choisit une voix différente, celle de l’aventure. Poète, journaliste, écrivain et lexicologue, il est l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels Le Vin des rues (1955), qui obtient le Prix Rabelais et Le Royaume secret du Milieu (1969), consacré au royaume d’argot, à son peuple et à ses coutumes. Ami de Doisneau et Prévert, qu’il fréquente au bistrot, il est un explorateur du Paris by night tel qu’il ne sera plus.
C’est une succession d’historiettes, de tranches de vie, d’anecdotes de bistrots de la faune parisienne des années 40-50, par notre « Bukowski » national, j’ai nommé : Monsieur Bob… enfin, toute proportion gardée et en moins égocentrique ; le narrateur s’effaçant pour se concentrer sur l’essentiel : un portrait, un tableau, souvent tendre, des marginaux et des laissés-pour-compte. C’est vraiment un livre que l’on descend comme une bonne bouteille de saint Emil… Mais il faut tout de même avoir de l’estomac. Moi qui suis 100% Chti, et très naïf, je ne connaissais pas du tout cette « mythologie » parisienne, que je croyais réservée à l’autre côté de l’Atlantique ; tous ces personnages si atypiques rendus si chaleureux par Mister Bob…
Editions Stock / Ecrivins - 246 pages
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