« Joueuse » de Caroline Bottaro.
Vu au cinéma
Le roman d’une femme de chambre
Ce premier film sorti au cœur de l’été mérite d’être conté pour la belle aventure qui conduit Sandrine Bonnaire dans un nouveau registre. Pour une caméra qui se promène légèrement du côté des calanques de Piana et pour une histoire empruntée au roman de Bertina Henrichs « La joueuse d’échecs ».Cette pratique , Hélène employée d’hôtel , la découvre alors qu’elle s’apprête à faire le ménage dans une chambre inoccupée. Mais sur le balcon, derrière un léger rideau, un couple amoureux se défie sur un échiquier. A travers cette partie, ces regards échangés, la sensualité du fin tissu sur le visage de la belle américaine, Hélène découvre une autre vie, un ailleurs possible qui la libérerait d’une cellule familiale où le mari distant, voire indifférent, et sa fille adolescente au possible lui ferment trop de portes.
Caroline Bottaro n’a pas froid aux yeux quand elle se lance dans cette aventure, un premier film où le risque est de vouloir sinon tout dire, du moins montrer tout ce que l’on sait faire. Bien évidemment son passé de scénariste demeure un atout de poids, ’mais au dialogue ciselé, elle préfère le jeu des regards, l’expression des visages.
Ainsi, l’échange muet entre le président du club d’échecs et la belle Hélène; ses nombreux face à face aussi avec l’homme qui l’initie , un certain Docteur Kröger (Kevin Kline) que Bottaro filme un instant dans sa solitude, contemplant à travers une fenêtre, la montagne Corse, à la façon d’un Cézanne. C’est tout simplement beau.
Le film a été tourné dans un décor idyllique, les calanques de Piana
Dans ce cadre, la réalisatrice brosse un portrait de femme tout en nuance, que Sandrine Bonnaire irradie de façon tout à fait naturelle. A l’image de son partenaire du moment, non pas Francis Renaud , très à l’aise dans la peau du mari tranquille, mais Kevin Kline engoncé dans son propre abandon et que la « soubrette » révèle magistralement à sa propre existence.
C’est l’inversement des rôles, propre à une dramaturgie qui fonctionne bien, malgré quelques séquences à rallonge (dont une fin qui n’en finit pas) et quelques passages chichiteux. Valérie Lagrange, est un peu caricaturale en patronne d’hôtel luxueux . Ajoutez un micro qui à deux petites reprises se balade dans le cadre, et voilà pour les regrets. Le reste c’est une excellente partie d’échecs, jouée avec plaisir.
:LES BONUS
Ce même plaisir que l’on retrouve dans le making of , où Caroline Bottaro dit avoir profité de l’aubaine , pour faire un portrait de Sandrine Bonnaire . « Dans le personnage d’Hélène, il y a quelque chose qui lui ressemble. Sandrine est très sérieuse, volontaire et très joueuse « . L’intéressée reconnait que » le jeu d’échecs est un révélateur sur soi même . Il faut à la fois prendre des risques , avoir un fort mental et toujours prévoir les coups à venir . Il faut beaucoup calculer « . Mais ce qu’elle retient de « Joueuse », « c’est son aspect social, c’est un film sur la lutte des classes . Habituellement on pense femme de ménage = pas très intelligente et « Joueuse » en donne une autre version« .
Ces femmes de ménage, les vrais, que l’on rencontre dans les bonus , un peu surprises de tous les préparatifs que requièrent une scène de tournage . Le chef-déco est aussi sollicité pour nous montrer l’aménagement de la maison labyrinthique où vit le Dr Kruger , un Kevin Kline visiblement ravi de se retrouver au cœur de la campagne Corse . Il dit son admiration pour le cinéma français » depuis les films de Truffaut que l’on voyait à la fac. Il y a chez vous une façon de travailler , très pure, très simple . On trouve la manière minimale d’exprimer quelque chose et puis on allège encore « .
Second supplément avec le court métrage de Caroline Bottaro » La mère » d’après une nouvelle de Natalia Ginzburg , avec Nathalie Baye . L’histoire d’une femme et de ses deux enfants , vivant sous le toit des grands parents maternels . La cohabitation est un peu tendue et la mère s’imagine quitter la maison .Une belle interprétation de la comédienne et une réalisation fort classique , mais qui va bien au-delà du simple exercice de fin d’études que représente parfois un premier court métrage.