Aventures en mer (2/2)

Publié le 06 décembre 2009 par Mtislav
    
Diogo se pencha, pris dans ses bras ce corps qu’il n’avait jamais possédé, plongea son regard intense dans ces yeux. “Je t’attendais, je t’attendais, gémissait-il.
— Je t’aime Diogo,  je t’aime ! murmura-t-elle.
— Oui, il faut qu’on parle Maria.
— Diogo, je suis vraiment désolée...
— J’en suis consciente Maria.
Gordão avait les larmes aux yeux en regardant le 254ème épisode de “Mulheres Apaixonadas” sur l’écran 180 x 126 cm de son téléviseur Luxi-Extra. Miulton avait poussé d’un coup de pied la porte de la cabane faite de bric et de broc et s’était vautré sur le sofa.
“Eteins et écoute intima-t-il. On a tout nettoyé, pas de souci à te faire, le blanc des fauteuils en cuir a été difficile à récupérer. Tu m’en dois une frangin. D’abord, qu’est-ce que tu fous ici ? Tu pourrais t’installer dans l’appart que je t’ai payé à Barra ? ”
— J’suis bien ici, tout le monde me respecte...
— J’ai un boulot pour toi.”
Il lui avait fallu attendre trois heures à Vitória que les bus forment un convoi. C’était la dernière nouveauté, pour éviter les attaques lui avait-on précisé à la rodoviária. L’air conditionné le gelait complètement malgré la couverture jetée sur ses jambes. Il avait envie de fumer, de manger, de se dégourdir un peu les jambes. Mais pas moyen de savoir combien allait dûrer l'arrêt. Au petit matin, il était rendu. L’hôtel Caravelas était composé d’un ensemble de petits bungalows désert à cette époque de l’année. La cuisinière avait fait un quindim et un pao de lo, il se contenta de reprendre deux fois de chacun d’eux, ajourta un guaraná, du café, un peu de fromage avec de la goiabada et compléta avec de la compote d’açai pour équilibrer son repas et ne pas avoir faim trop vite. 
Rômulo vint le chercher comme convenu. Une casquette blanche qui avait vécue sur sa tête, un ventre prospère mais raisonnable, une soixante d’années. Rô le conduisit jusquà la berge et désigna du menton le Guilherme I son bateau. “Faut-y aller à la nage” dit-il. Gordão observa Rô qui rentrait précautionneusement dans l’eau, remontait le courant jusqu’à l’embarcation, un vieux bateau de pêche ventru d’une dizaine de mètres de long. L’eau était boueuse, ça devait grouiller là-dedans. Gordão s’élança en courant. Au bout de quelques mètres, Rô l’arrêta d’un cri. Trop tard, Gordão s’était déjà entaillé les deux pieds... Rô descendit dans la cale et y resta deux bonnes heures à trafiquer le moteur. Gordão en profita pour se désinfecter ses plaies. Enfin, un ronronnement placide monta, un touc-touc-touc faisait vibrer toute l’embarcation en même temps qu’une odeur de gasoil empuantissait la cabine. 

Ils remontaient maintenant le fleuve bordé par la mangrove. Rô lui indiqua le profondimètre : il valait mieux qu’il ne descende pas en dessous de quatre mètres. Puis le fleuve s’élargit. Ils approchaient d’une petite ville où ils accostèrent pour faire le plein. Rô fit un tour dans le village et revint avec deux filles qui portaient des sacs de provision : farine de manioc, quelques légumes, des bouteilles de cachaça et de bière. Tout le monde embarqua pour remonter vers la haute-mer. Gordão avait protesté. Qui étaient ces deux filles ? Ce n’était pas prévu. Gordão finit par se fâcher. Rien n’y fit. Rô se contenta de lui adresser un clin d’oeil. Ils croisèrent quelques bateau qui rentraient de la pêche, Rô fit signe à l’un d’eux à qui il acheta des crevettes et de quoi à préparer une moqueca
Après l’embouchure du fleuve, ils suivirent un chenal de navigation marqué de bouées. Puis ce fut une étendue de mer sans aucune terre à l’horizon. Quelques baleines plongèrent à une trentaine de mètres, une plongea sous la coque. La chaleur était telle que Gordão se jeta à l’eau. Rômulo descendit l’échelle de coupée, lui posa une main sur l’épaule. “Mon bon, je vais te dire, ne descend pas à l’eau sans descendre l’échelle. J’avais des amis qui sont partis naviguer par ici. La nuit est tombée, ils ont bu de nombreuses caipirinhas et comme toi, ils avaient très chaud. Ils ont tous plongé pour se rafraîchir. On a retrouvé la trace de leurs ongles sur la coque. Il faut croire que quelques requins citrons ont fini par s’intéresser à eux.” 
La mer était d’un calme extraordinaire mais Gordão avait un peu mal à tête et au ventre. Iracema lui massa un moment le crâne. Gordão s’endormit très vite. Les deux filles riaient avec Rô, se moquant du carioca qui très vite avait eu le mal de mer. Flache Gordão* ! 
(* prononcer flachi goldan ; jeu de mot que le traducteur dans sa lâcheté juge intraduisible mais qui fait pourtant clairement allusion au héros de comic strip américain Flash Gordon)
L’archipel des Abrolhos se dessinait à l’horizon. Le soir tombait lorsque le Guilherme I se glissa entre Redonda et Santa Barbara. Gordão prit la gaffe, se plaça à la proue du navire comme le capitaine le lui avait demandé. Lorsqu’il distingua la bouée au milieu de la petite baie, il tenta de l’attirer à lui. Mais la chaîne ripa sur le bord de la coque. Rô criait depuis la cabine de pilotage, “tire !”, “pousse !”, “tes doigts !”. Gordão finit par comprendre et lâcha tout. La gaffe donna l’impression de flotter quelques secondes puis elle s’enfonça dans l’eau claire. Le profondimètre indiquait 9 mètres 50. Rô lui tendit une paire de palmes avant de s’équiper lui aussi. Pas moyen de prendre les bouteilles, les gardes de la réserve  n’allaient pas tarder à venir les saluer. A sa première tentative, Gordão réussit à descendre de trois ou quatre mètres avant de sentir ses oreilles bourdonner et de perdre la notion de haut et de bas. Il réessaya en se guidant le long de la chaîne de l’ancre, ce qui lui permit de frôler le fond sans rien réussir à distinguer. De retour à la surface, il était au bord de l’asphyxie. Il barbota autour du bateau en sentant le froid qui tombait pendant que Rô effectuait des allers et retours méthodiques autour du bateau. Au bout d’une dizaine de tentatives, le vieux remonta avec la gaffe.
Gordão dormit d’un trait. Le lendemain matin, ils récupèrent le paquet : un petit tonnelet de plastic bleu d’une dizaine de kilos qui était enfoui dans le sable à l’aplomb de la bouée. C’est Rô qui se chargea de l’opération. Gordão pensa qu’il avait bien fait de se faire expliquer le fonctionnement du gps et de la carte. Le bateau semblait facile à manier. Il avait un quand même un doute. Il préférait attendre un peu avant de se séparer de toute cette charmante compagnie.
La mer s’était formée. Lorsqu’il débouchèrent de la passe, l’orage gronda. Des creux de un mètre se présentaient contre l’étrave du Guilherme I qui plongeait avant se redresser dans un fracas inquiétant. Gordão effectuait le va-et-vient entre la table à cartes et le gps fixé à côté de la barre. Il maîtrisait ! Il se sentait un peu plus inquiet pour se déplacer et même pour se tenir sans bouger sur ses deux jambes. Iracema et Corintia restaient au fond de leur couchette. Gordão était heureux de ne ressentir aucun mal de mer. Ils devaient longer le Parcel das Paredes et se glisser entre cet immense massif coralien et un chapelet d’autres. “Abre os olhos” jeta Rô en lui faisant un clin d’oeil. Voilà que le capitaine se prenait pour Amerigo Vespucci découvrant les Abrolhos ! Ouvrir les yeux, Gordão ne faisait que cela. Les yeux rivés sur le profondimètre qui remontait doucement. Il indiquait maintenant 5 mètres, chuta à 4 mètres 50. Puis de nouveau, on repassa à plus de 20 mètres et Gordão se sentit mieux. La mer ne s’était pas arrangée. Rô avait filé à l’arrière du bateau. Gordão tenait la barre. Il lui fallait prendre conserver le cap en évitant de prendre la houle par le travers. Mais il avait beau tourner la barre, le gouvernail mettait un temps infini à répondre. Lorsqu’enfin le bateau partait dans la direction souhaitée, c’était pour ne plus pouvoir le stopper. Les vagues tapaient alors avec violence. Gordão s’escrimait tant qu’il pouvait sans parvenir à conserver le cap. Quand Rô revint, le profondimètre recommença à plonger, cette fois jusqu’en dessous de 4 mètres. Rô expliqua qu’il savait où ils étaient, qu’il fallait effectuer une manoeuvre en forme de “N” pour éviter le pinacle formé par  la Mussismilia braziliensis. Le gros champignon, le chapeirão, bien développé, qui pouvait atteindre 30 mètres de haut et un diamètre de 60 mètres. “J’adore ce coin-là !” s’esclaffait Rô. “Marque le avec le gps ! Je reviendrai plonger ici. Tu sais qu’il y a plus d’une vingtaine de carcasses répertoriées par ici ? Il en reste pas mal à trouver...” Gordão lui souriait en s'imaginant comment il allait le dessouder.
Cela prit des heures. Puis, dans le chenal en pleine nuit, il y eut un grand fracas. Lorsque gros Gordão sortit sur le pont, celui-ci était jonché de branches et de feuilles. Le bateau s'était accroché à la mangrove. Rô fit éteindre toutes les lumières, sortit avec une torche pour essayer de comprendre vers où diriger l’embarcation. 
Gordão pointa son flingue, envoya une première dum-dum au jugé. Il fit mouche, enjamba le cadavre et s'occupa des deux silhouettes qui tentaient de fuir. Plus loin, deux douzaines de types cernaient le haut de la favela. Il pointa son Multiple Grenade Launcher dans leur direction, appuya sur la détente et constata que la plupart étaient au tapis.Il avait quand même pris une bastos dans le buffet, le deuxième niveau n’était pas encore à sa portée. Il rangea sa box au fond de son sac, essaya de nouveau de trouver le sommeil dans le bus qui filait vers la cidade maravilhosa. 
Il ramenait le petit bidon bleu bourré de diamants. La réserve secrète du gang. Miulton lui reprocherait de ne pas avoir flingué Rômulo et les deux filles. Mais bon, on ne fait pas toujours ce qui est prévu.
(FIN)
Je transmets le tag à Gaël et Lucia Mel qui aiment bien la navigation.