La comédienne Laurence Vielle dans Solinge à l’Atelier du Plateau, en février 2008, sur le texte de Pia Divoka mis en scène par Lætitia Aepffel et Matthieu Malgrange. La pièce, ayant conquis Christian Tamet, sera donnée à Châteauvallon en septembre. Entre autres…
Ludile, 19 ans, s’est faite violer dans une cage d’escalier.
Quel sens ça a de se faire violer dans une cage d’escalier?
Aucun.
Ça n’a aucun sens.
Il y a un avant… Ou plutôt : il y avait un avant… Mais après? Comment peut-il y avoir un après?
Alors Ludile devient Solinge pour raconter.
Pour dire.
Pour se dire.
Pour se dire que la vie continue, qu’elle peut même être… belle? Et joyeuse? Oui mais à une condition, celle de pouvoir raccorder l’avant à l’après, dérouler le fil de la parole et passer dessus, au dessus du vide, au dessus du trou noir, au dessus du non-sens. Bref, faire sa jeune fille funambule en défiant la folie du rien…
Sans pathos et sans larmoiement, sans haine mais pas sans (un léger) tremblement, Solinge nous invite dans son émouvant récit et nous envoûte jusqu’au partage d’une enivrante eau de source, celle de l’humanidentité retrouvée.
L’une des définitions du traumatisme pourrait être qu’il rend a posteriori impossibles les conditions narratives qui lui préexistaient, l’irruption brutale du réel ayant déchiré le déroulé de l’histoire personnelle, le récit linéaire tout entier semble avoir été englouti dans le néant du non-sens. Cette approche permet de rendre compte de l’articulation fondamentale du fantasme à la réalité. Contre certaines idées reçues à tendance pornographique de la société de consommation mondialisée, il nous faut affirmer ici que le fantasme, au sens psychanalytique du terme, ne doit jamais chuter dans la réalité. Car le fantasme prend essentiellement la forme d’un récit ayant fonction d’obstruer la béance du réel. Le fantasme devenu réalité a donc un nom : cauchemar. Laissons ici la parole au philosophe Slavoj Žižek :
“Si on attire l’attention sur le fait que, souvent, les femmes se laissent aller au fantasme d’être malmenées, voire violées, la réaction politiquement correcte standard est que l’on ouvre ainsi la voie à ces platitudes selon lesquelles quand une femme est violée, elle obtient ce qu’elle a voulu effectivement, et qu’elle n’a pas été suffisamment honnête pour l’admettre. Ma réponse à ce lieu commun est que le fait qu’une femme ait le fantasme d’être violée, d’être malmenée, ne légitime aucunement son viol en réalité: le fait que le viol touche au fantasme de sa victime ne rend pas l’acte plus acceptable, même, il rend l’acte encore plus violent. Pourquoi? Précisément à cause de l’écart nécessaire qui sépare les identifications imaginaires et symboliques du sujet du noyau fantasmatique de son être: il n’est jamais possible pour moi d’assumer pleinement (d’intégrer dans mon univers symbolique) le noyau fantasmatique de mon être; ce qui se passe quand je m’approche trop de ce noyau, c’est bien ce que Lacan a appelé l’aphanasis du sujet: le sujet perd sa consistance symbolique. L’actualisation forcée, extorquée, de ce noyau fantasmatique, son imposition de l’extérieur, entraîne, peut- être, la violence la plus humiliante, celle qui mène à la désintégration de l’identité symbolique…”
Recousant donc avec imagination, patience et légèreté la trame brutalement trouée de son histoire, Solinge fait de nous les témoins attentifs, émus et solidaires de sa belle remontée vers l’horizon du sens, comme une véritable renaissance…