Si pour Lacan le fou «n’est pas seulement le mendiant qui se prend pour le Roi, mais c’est aussi le Roi qui se prend pour le Roi», Éric Cantona, n’est pas fou. Loin de là.
Kong se le dise, le King ne se prend pas pour ce qu’il n’est pas.
Héros du dernier et réjouissant film de Ken Loach LooKING for ERIC, l’ex-footballeur sacré roi de Manchester met son accent, son image et son être au service d’une réalisation aux petits oignons pour un moment de plaisir authentiquement humain (d’autant plus appréciable dans un monde dominé par les machines)… Bref, un film drôle, sérieux et moral.
Le postman de Manchester Eric Bishop (s’)est perdu, il est dans l’impasse, il ne s’y retrouve plus. Le film débute par sa tentative angoissée de renouer avec un minimum de sens en roulant… à contresens justement! Comme pour remonter sa trajectoire, saisir quelle pente a bien pu le mener jusque là…
Stoppé net dans la boucle d’un rond-point autour duquel il s’enroulait (au bord du réel?) il voit sa dérive existentielle momentanément différée, se trouvant privé du même coup de son véhicule fonctionnel, support du moi…
L’être en souffrance du postier, d’abord pris en charge par ses collègues de travail, peut entreprendre alors la (re)conquête de son identité. Grâce au poster grandeur nature du King (Éric Cantona) trônant dans sa chambre, le postman mancunien commence à naviguer entre moi-idéal (identification imaginaire) et idéal du moi (régulation symbolique de l’identification) conformément à l’anticipation que fait Karl Marx du stade du miroir lacanien : « Sous un certain rapport il en est de l’homme comme de la marchandise. Comme il ne vient point au monde avec un miroir — à l’instar du philosophe fichtéen : Moi-Moi — il se mire et se reconnaît d’abord seulement dans un autre homme. Ce n’est qu’avec le rapport à l’homme Paul comme à un homme qui lui est égal que l’homme Pierre se rapporte envers lui-même comme envers un homme. Par là, c’est Paul, avec peau et poil, dans son corps de Paul, qui lui vaut pour la forme d’apparition du genre homme »…
C’est ainsi qu’un Éric actualisé, dé-sacralisé et re-contextualisé peut guider un Eric lâchant peu à peu ses inhibitions et sa timidité pour parvenir aux abords du roi surmoi lui-même, à travers la figure obscène du père quincailler remémorée, point de fuite angoissé de sa faillite conjugale annoncée… Il devra s’y confronter pour incarner à son tour une paternité réhabilitée.
Sans compter le plaisir de revoir sur écran géant l’allure, la gestuelle, les buts et les trajectoires sublimes d’un Éric Cantona définitivement millésimé… Goooooooooooaaaaaaaal! ;-)