Rendons à la social-bourgeoisie ce qui n'appartient pas au libéralisme

Publié le 06 décembre 2009 par Objectifliberte

Aujourd'hui, malgré les efforts des intellectuels, auteurs et blogueurs libéraux, le libéralisme souffre d'une très mauvaise image dans une bonne partie de l'opinion. Mais ce que l'on nomme souvent "libéralisme" est-il réellement libéral ? Ne faudrait-il pas plutôt populariser le terme de "social-bourgeoisie" pour caractériser le système politico-économique que la sociologie des démocraties occidentales a fini par engendrer un peu partout  ?

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Quand Jean François Kahn loue le "libéralisme classique"
La semaine dernière, j'ai entendu sur BFM Jean-François Kahn, fondateur de Marianne, peu suspect de sympathies excessives pour nos idées, mais qui n'en est pas moins un créateur d'entreprises "multi-récidiviste" tout à fait respectable, dire en substance (je résume de mémoire):

Le néo-libéralisme qui a triomphé ces dernières années avant de s'écrouler lamentablement avec la crise a totalement perverti l'idée du libéralisme classique des lumières, dont il faut reconnaître les apports positifs pour l'humanité.
Naturellement, je pourrais m'emballer et dire qu'en affublant la soupe oligarchique actuelle du sobriquet de néo-libéralisme, JFK commet une erreur conceptuelle.
Mais passons rapidement sur l'aspect sémantique. Le fait est que l'appellation "néo-libéralisme" s'est imposée dans l'esprit du plus grand nombre. Et si l'on met à part la question du vocabulaire, importante, mais pas vitale, on ne peut guère contester à M. Kahn une certaine justesse dans son propos.
Le problème d'image du libéralisme, aujourd'hui, vient de ce que les excès du "capitalisme de copinage" qui est la norme actuelle en matière de gouvernance économique et sociale, n'ont pas de nom générique, aussi clairement identifiable que "capitalisme", "communisme", "socialisme", "libéralisme".
Trois systèmes, deux vocables
Depuis la chute des régimes fondées sur des idéologies extrêmes (socialisme nationaliste des fascistes ou des nazis, communisme), le débat sur les politiques économiques s'est cristallisé autour de deux partis pris idéologiques (quand bien même, exception bien française, les partis "crypto-collectivistes" et collectivistes assumés continuent d'incarner une voie électoralement non négligeable, jusqu'à continuer d'empêcher la refondation du PS autour de son pôle "social-libéral assumé", à l'instar des autres PS d'Europe).
Le premier, généralement référé comme "socialisme démocratique", entend, par une intervention "préventive" de l'état sur les agents économiques, et correctrice sur la répartition des revenus engendrés par les activités de ces agents, "faire mieux que le marché". Toutefois, ce socialisme, celui du SPD allemand d'après Bade-Gödersberg, reconnait dans le marché comme lieu d'échange des productions, dans le capitalisme, c'est à dire la propriété privée des moyens de production, et la garantie des droits de propriété afférents, une forme judicieuse d'organisation de la société économique, qu'il faut seulement corriger "à la marge".
Le libéralisme reconnaît également que marché, capitalisme et protection des droits de propriétés sont importants, et va plus loin en affirmant que ce sont les piliers essentiels de l'organisation sociale des communautés humaines. Les libéraux affirment que la volonté des socio-démocrates de vouloir corriger les "inefficiences" imputées au marché sont pleines de bonnes intentions, mais que les effets pervers produits par l'intervention préventive de l'état sur l'économie et sur la redistribution des revenus lorsque celle ci se montre excessive, en surpassent largement les bénéfices attendus. Les libéraux s'appuient pour cela sur des théories certes contestées par "le camp d'en face", mais dont l'application pratique a obtenu de bons résultats par le passé.
Cependant, la sociologie politique (cf. mon analyse de 2005) a fait que tant les socio-démocrates lorsqu'ils ont occupé le pouvoir, que la droite parlementaire, ont convergé vers un autre système, auquel nous peinons à donner un nom.
"Social Bourgeoisie" ?
J'ai essayé Kleptocratie, collusionnisme. Alain Madelin parle fréquemment de "capitalisme de connivence". Mais ces termes n'évoquent rien dans l'inconscient populaire. Pas plus que le terme de "conservateurs", trop connoté "droite morale américaine", totalement inadapté au contexte hexagonal.
Nicolas Sarkozy préfère parler de pragmatisme, ce qui voudrait faire croire que les socio-démocrates ou les authentiques libéraux, seraient de doux rêveurs. Ce n'est évidemment qu'une posture de marketing politique.
Je suggère donc de populariser, pour évoquer cette funeste troisième voie, le terme de "social-bourgeoisie", qui me parait parfaitement parlant, et mémorisable.
Pourquoi "Social Bourgeoisie" ?
"Socialiste"
, car cette doctrine politique est très interventionniste, elle est donc apparentée au socialisme. Cette forme particulière d'interventionnisme public très fort dans l'économie consiste à se montrer aussi dépensier que ne le seraient des socialistes purs et durs, et parfois plus que des socialistes réformateurs étrangers. "Bourgeoise", parce que les clientèles principales de ces interventions ne sont plus des familles modestes ou "ouvrières", comme aux débuts de l'essor du socialisme de masse, mais les milieux d'affaires les mieux connectés au pouvoir, c'est à dire les grandes entreprises, et surtout les banques et compagnies d'assurances, alliées indispensables des états qui creusent chaque année un peu plus le trou de leur dette publique. Ceci, afin, nous dit-on, de "favoriser l'économie et l'emploi".
Ces modes d'intervention politiques sont l'antithèse du libéralisme classique, qui dénie à l'état le droit de promouvoir des mesures sectorielles, de créer des rentes de situation législatives favorables aux grands groupes, de choisir les gagnants de la compétition économique, etc... Les qualifier de Néo-Libéralisme est donc totalement infondé. Pourquoi alors cette appellation insultante pour nos valeurs semble prévaloir dans le langage courant ?
Parce que les politiques promues par les socio-bourgeois prétendent "aider l'entreprise", elles viennent parfois s'opposer à des revendications syndicales ou à des "acquis sociaux" du passé. Ces remises en cause ne sont pas nécessairement mauvaises, si l'on se réfère aux nombreux effets pervers de ces "acquis" qui viennent réduire à néant les résultats qui en étaient attendus, du point de vue de leurs bonnes intentions. Mais cette opposition aux dogmes les plus forts des socio-démocrates donne beau jeu à ces derniers de qualifier les politiques "socio-bourgeoises" de "néo-libérales", car le terme libéral n' a pas bonne presse chez nous. C'est de bonne guerre que de tenter d'étiqueter ses adversaires sous une étiquette dont la consonance est, hélas, perçue comme péjorative par une bonne partie de l'opinion.
Le libéralisme a bon dos !

De fait, le "libéralisme" devient tenu pour responsable des échecs de cette social-bourgeoisie, et devient un gros mot pour beaucoup de gens de parfaite bonne foi, auxquels il est difficile de reprocher de ne pas avoir eu le temps ou l'envie de découvrir les écrits de nos vieilles reliques dont nous autres libéraux célébrons régulièrement la prescience:  Bastiat, Mises, Hayek, Friedman... Dont les noms sont à peu près inconnus des trois quart de la population, ou alors associés à une sorte de doctrine satanique.
Répétons le une fois encore: la crise actuelle, loin d'être un échec libéral, est celui d'une connivence poussée à l'extrême entre régulateurs et politiciens d'une part, et grands groupes financiers de l'autre. Pour ceux qui ne seraient pas familiers du dossier "crise financière" de ce blog, rappelons en simplement les principales caractéristiques.
La bulle de crédit qui est en train de mettre à genoux l'économie mondiale a commencé parce que depuis trop longtemps, l'état américain (pour ne parler que de lui) a cru pouvoir substituer au "marché libre" un marché "régulé" du crédit supposé, en bonne logique sociale démocrate, réduire les risques de faillites des entreprises, de mauvaises allocation marginale des ressources que tout marché libre engendre, et faire mieux pour les plus modestes que ne l'aurait fait le marché. Les interventions publiques dans l'économie ont toujours pour but de "battre le marché". C'est pratique: lorsque ces interventions de l'état échouent, leurs promoteurs évoquent un "échec du marché" et demandent plus de régulations !
La banque, un secteur hyper-régulé, une régulation totalement inefficace

De fait, les réglementations applicables aux banques américaines comptaient plusieurs centaines de milliers de pages, et rien qu'à l'échelon fédéral, plus de 13 000 personnes travaillaient à temps complet à la "régulation des banques". Cela n'a pas empêché les cinq grandes banques d'affaires américaines qui ont le plus fait pour créer la bulle que nous connaissons d'user de leurs connexions politiques pour se faire octroyer des aménagements de réglementation leur permettant de maximiser leurs espoirs de gains, sans considération suffisante pour le risque qu'elles faisaient peser sur leurs actionnaires, leurs clients, leurs fournisseurs et leurs prêteurs. Et pour cause: les dirigeants de ces établissements, instruits par le passé et mis en confiance par leurs relations politiques, étaient certains de pouvoir compter sur le soutien de l'état, donc du contribuable, si leur prise de risque s'avérait hélas mal calculée. Cette façon d'opérer leur garantissait de gros bonus à court terme, et tant pis pour les petits actionnaires floués.
Si cela a le moindre rapport avec le "libéralisme classique" qu'évoquait Jean François Kahn, alors je suis un moine bouddhiste agent de la CIA.
Mais il y a pire. Depuis les années 30, les USA ont adopté une série de régulations étatiques du secteur bancaire qui ont conduit à faire reposer quasiment la moité du financement du crédit immobilier à une puis deux entités bénéficiant d'un statut particulier garanti par l'état, Fannie Mae et Freddie Mac. Lorsqu'en 1992, cette institution a été retirée de la tutelle du trésor pour être placée sous celle, plus politique, du département du logement, elle s'est vue imposer des quotas de prêts à des gens peu solvables pour des raisons purement politiques. Pour atteindre ces objectifs, les dirigeants de ces entreprises ont dû avoir recours à des innovations financières dont le but n'était pas d'améliorer l'efficacité du marché, comme le fait toute innovation ordinaire, mais de donner un goût de marché à des politiques qui n'en avaient plus tout à fait la couleur. Les dirigeants de Fannie et Freddie se sont d'ailleurs fort bien accommodés de cette contrainte, qui s'est traduite pour eux en bonus tout à fait considérables.
N'oublions pas également le rôle de la monnaie, débasée de toute contrepartie métallique depuis 1971 sous l'impulsion d'un gouvernement ayant trop fait marcher la planche à billets, et incapable de faire face à des demandes massives de conversion de dollars en or. La monnaie est gérée par des curiosités institutionnelles, les banques centrales, à la fois censées être indépendantes des pouvoirs politiques mais tellement interdépendantes des états, qui gèrent le prix de l'argent selon des modèles mathématiques hélas faillibles, à la manière d'un Gosplan soviétique.
Si tout ceci est libéral, je veux bien être changé en ours polaire et servir de fourrure à Al Gore.
Difficile de distinguer la social-bourgeoisie UMP ou PS...
Mais revenons aux doctrines politiques en présence sur notre échiquier politique. Tant les partis socialistes du monde démocratique que les partis de droite dont certains ont pu avoir une tradition plus libérale dans un passé lointain (et pas l'UMP, de toute façon) ont souvent évolué vers un modèle "social-bourgeois". La social-bourgeoisie de gauche affirme "ne pas aimer les riches" mais n'a pas dédaigné jouer au meccano financier lorsqu'elle était au pouvoir. La social-bourgeoisie de droite ne se distingue guère de son homologue de gauche.
Les deux se rejoignent par un recrutement dans des creusets élitistes communs, une croyance démesurée dans la nécessité, pour les élites publiques, d'organiser les relations inter-agents économiques, la gestion des finances par des taux de prélèvement ou d'endettement stratosphériques, des états tentaculaires, des dépenses publiques en hausse permanente... Le tableau ci-dessous, comparant l'évolution des dépenses publiques dans les grands pays de l'OCDE, montre clairement que la tendance de tous les états du monde est à la croissance de l'interventionnisme, et non à un retour vers un monde libéral.

évolution du poids des états
dans les économies occidentales

L'ultra ou néo-libéralisme triomphant n'est donc qu'un fantasme, un concept repoussoir pour tenter de diaboliser toute réforme de nos corporatismes. Ce n'est pas la réalité du monde d'aujourd'hui.


En France comme dans de nombreux autres pays, la droite et la gauche ne se distinguent que marginalement par quelques lois d'affichage un peu plus "pro-social" dans le cas des socialistes-bourgeois de gauche, et un peu plus pro "entrepreneurs" (plus MEDEF que CGPME, soit dit en passant) pour les sociaux-bourgeois de droite, qui tolèrent parfois une tranche d'alouette libérale dans leur pâté de cheval interventionniste.
L'échec de la social-bourgeoisie n'est pas celui des libéraux !
Rendons à la social-bourgoisie ce qui n'appartient pas au libéralisme, et ne devrait pas appartenir à la vraie sociale démocratie non plus. La collusion des élites financières et des grandes entreprises cotées avec les gouvernements, mère de nos ennuis actuels, fille de notre tradition centralisatrice et saint-simonnienne, est aujourd'hui le problème numéro un de notre modèle économique et sociétal.
Le nom de néo-libéralisme que Jean-François Kahn donne à cette collusion est impropre, mais il a raison de dire que cela n'a plus grand chose à voir avec le libéralisme originel.