Un peu plus tard, à Montpellier, on est allés écouter le pianiste Alexeï Volodine. Au programme, Schubert, Chopin et Bach. Jeu puissant, raffiné, ondoyant, liquide. Les notes entraient en moi, au point de chasser tout le reste, les scories, les doutes, la fatigue. Je me laissais envahir, j’étais « dans les autres mondes » de Giono… La durée n’existait plus. Un bonheur sûr, placide et total. Bach, sa musique circulaire, enroulée jusqu’à l’infini, virevoltante, libre, profonde comme le dix-huitième. Tout se mêlait dans un ordre plus harmonieux. Ce qui était épars, je devais le rassembler. Un satori. Ma vie allait changer. Je n’avais plus le moindre doute. En fermant les yeux, je distinguais une palette, mes mains s’animaient, puisaient, tournant et retournant la matière. Cette chair du monde, c’était la mienne. Le kaléidoscope éclatait sur la toile. La couleur était en moi, depuis les débuts du monde. Je la tenais, elle m’avait rattrapé. J’étais peintre.
Raymond Alcovère, extrait de "Le Bonheur est un drôle de serpent", vient de paraître, éditions Lucie
Goya, La Forge